En ce moment
 
 

Le dumping social étouffe les chauffeurs routiers: "Ca va finir comme les bonnets rouges"

 
 

Les pertes d'emplois s'accumulent dans le secteur des transports routiers. Près de 4.000 chauffeurs ont été licenciés en Belgique depuis 2008. En colère, ils dénoncent le "dumping social". Mais la grande Europe n'en a cure...

"140 conducteurs ont été licenciés dans notre société en deux ans. Et ils ont été remplacés par des chauffeurs polonais qui appartiennent au même groupe, mais qui sont employés par une filiale polonaise", a dénoncé Christian Depiesse sur notre page Alertez-nous. "Depuis le début de l'année ça n'arrête pas. Ils licencient par petits groupes. La semaine passée, c'était mon tour avec 4 ou 5 collègues. Je travaillais là depuis 10 ans, j'ai 57 ans, et vu comment les choses évoluent, je suis très pessimiste sur le fait de retrouver du travail comme chauffeur routier", a ajouté le chauffeur routier.

Mais au fond, que se passe-t-il dans le secteur routier ?

Les sociétés engagent des travailleurs venus de pays de l'Est, considérés moins exigents et plus flexibles (travail le week-end ou jours fériés, heures supplémentaires non payées , pas de menace de grève, etc...).

Mais une autre technique est bien connue et va bien plus loin. Pour faire encore plus d'économies, ou plutôt pour rester concurrentielles et garder leurs clients qui n'hésiteront pas à faire appel à des sociétés étrangères pour le transport, les sociétés créent bien souvent un siège social fictif dans un pays où les charges sociales et patronales sont nettement moins élevées. Dans ces conditions, ils peuvent rémunérer un ouvrier des pays de l'Est encore moins cher, de la même manière que dans son pays d'origine, vu que la filiale du groupe est basée dans ce pays.

Compétition "déloyale" entre pays

Les"On a des salaires brut qui varient entre 1.700 et 2.200 euros pour un chauffeur slovaque, alors qu'on arrive à 4.500 euros pour un chauffeur belge", a confié Alain Durant, Président du Conseil d'Administration du SECOP-ITSRE, le Syndicat et la Fédération du transport et de la logistique.

Cela génère une compétition entre des pays aux faibles coûts du travail et les pays riches d'Europe occidentale, jugée déloyale par les syndicalistes et certains politiciens. Et leurs craintes sont fondées, car l'article 49 du traité européen garantit la libre prestation de services des travailleurs. L'égalité de traitement entre deux travailleurs de nationalités différentes serait donc une entrave à cette libre prestation de services. Bref, dans l'union européenne, le dumping social est tout-à-fait légitime...

L'Europe "autorise le dumping social"

Les boîtes aux lettres fictives, par contre, c'est interdit. Enfin disons plutôt que ça l'est, mais qu'il n'est pas facile de les combattre. En effet, le secrétaire d'Etat à la lutte contre la fraude, John Crombez, a tenté de s'y attaquer avec les moyens dont il dispose. Son dispositif antifraude était ainsi censé lutter contre le fait que des travailleurs venus d'autres pays européens viennent travailler en Belgique à des conditions salariales défiant toute concurrence, sans que leurs employeurs ne versent un euro à la sécurité sociale belge.

Mais face à la puissante Commission européenne, ses moyens paraissent bien dérisoires. Et comme la législation européenne permet à des entreprises situées à l'étranger de détacher temporairement des travailleurs dans un autre pays, son dispositif ne plaît pas à la Commission. Résultat: celle-ci vient d'entamer une procédure d'infraction contre la Belgique. Motif: toujours l'entrave à cette fameuse libre circulation des travailleurs garantie par l'article 49 du traité. "L'Europe autorise le dumping social", a fulminé John Crombez en réaction à cette décision européenne.

La seule mesure protectionniste en vigueur: le cabotage

A l'heure actuelle, les pays de l'Europe de l'Ouest (excepté la Grande-Bretagne), qui perdent des emplois par milliers au profit des pays en développement, plaident pour qu'un salaire minimum soit imposé par l'Union européenne dans les pays de l'Est, de façon à limiter le dumping social. Mais on en semble bien loin, et la seule mesure protectionniste en vigueur est le cabotage, qui autorise un chauffeur étranger à quitter un pays avec un véhicule, de charger et décharger à plusieurs reprises, avant un retour obligatoire au pays d'origine. Mais là aussi, il y a des dérives, les contrôles étant très (trop) rares.

Mais au final, qui profite du phénomène ?

Certains routiers belges accusent les routiers étrangers de leur voler leur boulot. "Oui, mais tout le monde doit travailler. C'est un mauvais procès que de s'en prendre aux chauffeurs, il faut éviter de tomber dans le populisme. Surtout que ces chauffeurs étrangers travaillent dans des conditions déplorables. Il faudrait voir dans quelles conditions ils dorment aussi. En plus, ils accumulent le travail pendant des semaines, sans rentrer dans leur pays, sans voir leur famille, tout ça pour des salaires de 1.200 ou 1.300 euros. Un chauffeur belge licencié risque de leur en vouloir à chaud, mais après, en réfléchissant, on voit clairement qu'ils sont aussi victimes du système", a expliqué Daniel Maratta, responsable de la section Transport (UBOT) de la FGTB Liège.

Les conducteurs belges sont victimes du système. Les conducteurs étrangers sont victimes du système. Est-ce alors les sociétés de transport qui tirent tous les profits ? Certaines augmentent, en partie, leurs bénéfices, mais d'autres mettent la clé sous la porte. "En réalité, ce sont les clients qui sont les grands bénéficiaires. Par exemple, une livraison de céréales réalisée par la société pour laquelle je travaillais coûtait 1.300 euros. Désormais, cette même livraison coûte 700 euros", a confié Christian Depiesse, le routier licencié.

"Ca devient une catastrophe"

Tout le secteur se retrouve donc pris dans cet engrenage qui pousse les prix des livraisons routières vers le bas. Et quand un concurrent baisse ses tarifs, il faut essayer de s'aligner. A partir d'un moment, contourner le système social d'un pays d'Europe de l'Ouest devient presque inévitable, même si au niveau éthique, c'est contestable. Mais éthique et rentabilité ne font pas toujours bon ménage, et dans ce contexte, le secteur routier tout entier plonge dans un climat fort morose. "Ca devient une catastrophe. Avec tout ce que j'entends autour de moi, tout ce que je lis sur internet, ça va finir comme en France avec les bonnets rouges*", a conclu Christian Depiesse.

Arnaud Vankerckhove (@ArnaudRTLinfo)

Le mouvement des Bonnets Rouges est un mouvement de protestation apparu en Bretagne en octobre 2013, en réaction aux mesures fiscales relatives aux véhicules de transport de marchandise. Le bonnet rouge a été choisi en référence à une révolte anti-fiscale de 1675 en Bretagne. 

> VOS REACTIONS SUR NOTRE PAGE FACEBOOK: "Merci l'Europe" (Eva Vera Streveler)


 

Vos commentaires