Se sentir abandonné, être découragé, sans perspective. C’est le sentiment malheureusement partagé par de nombreux jeunes à la recherche d’un emploi. Un Wallon témoigne de son expérience en tant que maçon et révèle les difficultés de travailler dans le secteur de la construction, miné par le dumping social et la concurrence déloyale.
"Je suis sans chômage, je suis courageux, mais franchement je me sens toucher le fond. Il faut m’aider". Ce sont les mots chargés de désespoir d’un Wallon de 23 ans. Il y a environ un mois, ce jeune homme décide de contacter notre rédaction via notre page Alertez-nous pour livrer un témoignage difficile mais salvateur. Une sorte d’appel à l’aide face au monde hostile de l’emploi. Pour préserver son identité, nous l’appellerons David. Originaire de Liège, il habite depuis trois ans dans une localité proche de Charleroi. "J’aimerais bien raconter mon parcours professionnel et montrer comme c’est difficile de trouver du travail quand on est qu’un petit numéro", ajoute-t-il.
"J’ai eu plusieurs employeurs mais ils me payaient toujours en noir"
Apprenti maçon, David a commencé à 18 ans une formation avec une qualification à la clé. Il s’agit de la filière apprenti RAC (Régime Apprentissage Construction). "C’est quatre jours en entreprise et un jour à l’école. Au bout de 18 mois, je suis devenu ouvrier maçon", explique le jeune homme. "A ce moment-là, on m’avait dit que je trouverais facilement du boulot", précise-t-il.
Après être sorti de l’école, David s’inscrit comme demandeur d’emploi au Forem et se lance donc dans le monde professionnel avec une certaine confiance. Mais la confrontation à la réalité s’avère beaucoup moins rose qu’imaginée. Pour lui, décrocher un contrat en toute légalité semble impossible. "Après ma formation, j’ai trouvé du travail. Plusieurs employeurs me promettaient des contrats. Mais finalement, ils me payaient toujours en noir. J’ai eu des bons salaires, jusqu’à 2.000 euros. Mais j’avais vraiment l’impression qu’on profitait de moi", déplore le jeune maçon. "Et puis, il y a aussi le problème du dumping social. Les patrons préfèrent embaucher un Polonais qui coûte deux fois moins cher, même si le travail est un peu négligé", regrette-t-il.
"La maçonnerie, c’est une passion mais il ne faut pas se foutre de ma tête"
Lorsqu’il a 20 ans, David quitte Liège et suit ses parents qui décident de s’installer dans le Hainaut. Son stage d’insertion professionnelle (anciennement appelé "stage d'attente") touche alors à sa fin et le jeune homme bénéficie pour la première fois des allocations d’insertion, calculées sur base des études. "Mais ce n’était pas vraiment la joie. La situation dans le secteur du bâtiment n’est pas meilleure à Charleroi qu’à Liège. J’ai l’impression qu’il faut virer un homme pour en engager un autre. C’est la galère", assure David.
A 22 ans, il décide de suivre une formation de six mois en entreprise organisée par la Mirec (mission régionale pour l’emploi à Charleroi). "J’ai voulu persister en maçonnerie, surtout que ma conseillère au Forem m’a poussé à le faire. J’étais payé 1euro brut de l’heure. A l’issue de mon stage, j’ai eu un bon rapport mais mon patron ne voulait pas m’engager. Je pense qu’il préférait reprendre un stagiaire qui ne lui coûtait quasiment rien. Il profite en quelque sorte du système", déplore David.
Il a encore eu des propositions pour des jobs payés en noir, mais rien de satisfaisant. "Soit on me proposait du travail au noir, soit on me disait qu’il n’y avait pas de places vacantes ou que les ouvriers étaient au chômage technique. Bref, que des excuses pour ne pas m’embaucher. Moi, il me fallait un contrat légal pour bénéficier de la sécurité sociale. J’ai donc décidé de changer d’orientation. La maçonnerie, c’est une passion mais il ne faut pas se foutre de ma tête", lance le jeune homme.
20.000 emplois perdus depuis 2011
Ce témoignage n’étonne pas vraiment Willy Borsus, le ministre des classes moyennes, des indépendants et des PME. "Malheureusement, le secteur de la construction est clairement menacé. Depuis fin 2011, près de 20.000 emplois ont été perdus, en raison du dumping social et de la concurrence déloyale", affirme le ministre MR. "Chaque mois qui passe, ce sont des centaines d’emplois dans nos entreprises qui disparaissent", confirme Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération Construction, dans son dernier édito. Depuis quelque temps déjà, le secteur réclame d’ailleurs de trouver une solution pour lutter contre cette situation alarmante.
Un plan ambitieux pour aider le secteur de la construction "clairement menacé"
"Il faut tout d’abord s’attaquer au dumping sur les salaires et aux diverses formes de fraude sociale qui existent. On ne peut pas tolérer la fraude", souligne Véronique Vanderbruggen, porte-parole de la Confédération Construction.
Le 8 juillet dernier, un grand pas en avant a été franchi. Le gouvernement a signé avec les syndicats et les organisations sectorielles un plan ambitieux de lutte contre ces pratiques illégales. Une batterie de 40 mesures concrètes pour enrayer les pertes d’emplois et renforcer la compétitivité des entreprises belges. Certaines relèvent du niveau national, d’autres du niveau européen ou du Benelux.
Quelles sont ces mesures concrètes ?
"Un exemple concret de mesures nationales est la limitation à maximum deux du nombre de sous-traitants dans la chaîne verticale. Verticale, cela veut dire que celui qui travaille dans le gros œuvre, la maçonnerie, ne peut recourir qu’à deux sous-traitants. Aujourd’hui, il n’existe pas de limites", explique le ministre Willy Borsus. Parmi ces mesures, on trouve aussi une volonté d’éviter les prix anormalement bas dans les marchés publics, une généralisation progressive de l’enregistrement des présences sur chantiers, une lutte contre les faux indépendants ou encore l’organisation de campagnes de sensibilisation.
Au niveau européen, la Belgique plaide notamment pour une limitation à six mois au lieu de deux ans de la condition de détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne. Le secteur demande aussi un meilleur contrôle pour éviter un recours abusif et illégal à ce principe. "Le détachement peut être réalisé de manière abusive lorsqu’ une entreprise met tout son personnel au chômage économique et, dans le même temps, sollicite des travailleurs étrangers pour bénéficier de main d’œuvre meilleure marché pour effectuer les mêmes travaux. A l’avenir, ce ne sera plus possible", soutient le ministre Willy Borsus.
Reste à mettre en œuvre toutes ces résolutions. Un rôle joué par le gouvernement. "Les mesures ont été formulées, mais il faut encore les concrétiser", confirme la porte-parole de la Confédération Construction. "Certaines seront bientôt en vigueur, d’autres en préparation. Mais il existe une volonté très forte d’avancer ", assure Willy Borsus.
Reste un gros problème: "Même en toute légalité, il y a une situation de concurrence déloyale"
Si le secteur ne doute pas de l’efficacité de ce plan contre le dumping social et la fraude, il estime que tout n’est pas réglé pour autant. La concurrence d’entreprises étrangères, essentiellement d’Europe de l’Est et du Sud, où les charges sociales sont faibles, reste un réel problème. Ces sociétés travaillent à des coûts largement inférieurs à ceux des entreprises belges tout en respectant leurs obligations dans notre pays. "Même en toute légalité, il y a une situation de concurrence déloyale. La différence très importante de coût salarial (de l'ordre de 20 à 35%) constitue un véritable handicap pour les entreprises de construction nationales, qui perdent de plus en plus de marchés et sont contraintes de licencier du personnel. Aujourd'hui, bon nombre de PME du secteur de la construction craignent même pour leur survie", déplore Véronique Vanderbruggen, porte-parole de la Confédération Construction.
La disparition de la période d'essai ne favorise pas l'engagement
Par ailleurs, le secteur souffre de la disparition de la période d’essai et le rejet du régime d’exception pour les délais de préavis des ouvriers travaillant sur chantiers. Une situation qui ne favorise pas l’engagement. Quel entrepreneur va en effet prendre le risque d’engager à long terme un jeune sans pouvoir le tester ? Surtout que la période de préavis peut s’avérer plus longue que la durée d’un chantier. "Les contrats fixes sont plus rares et les formes de travail à durée déterminée de plus en plus nombreuses", constate la porte-parole de la Confédération. "Cette décision de supprimer la période d’essai, prise sous la précédente législature dans le cadre de l’harmonisation des statuts ouvrier-employé, est clairement contreproductive", admet le ministre libéral. "Par crainte du coût d’un licenciement, soit l’entreprise de construction hésite ou retarde l’engagement. Soit l’entreprise a recours à l’intérim. Avant, l’intérim était lié à la fluctuation du travail, mais aujourd’hui, on constate une augmentation des intérimaires car cela permet de ne pas payer un préavis si la personne ne convient pas. Au final, le statut de la personne employée est donc moins bon. Pour moi, il faudrait réévaluer cette mesure", estime le ministre.
"Le plus difficile: un trou de trois ans dans mon CV"
David se trouve dans cette situation délicate. En tant que jeune maçon n’ayant jamais décroché officiellement un job, il ne peut pas faire valoir une expertise quelconque. "Le plus difficile, c’est le trou de trois ans dans mon CV. On est tout de suite catalogué. On pense que je suis un pourri qui n’a pas envie de travailler. Or, je suis capable de maçonner, mais on se dit que je ne suis qu’un jeune qui sort de l’école, sans expérience", déplore le jeune Wallon.
"Le secteur tout entier demande au gouvernement de réduire le coût salarial"
Pour la Confédération Construction, la voie pour assurer la survie du secteur est de réduire drastiquement les coûts salariaux et permettre ainsi à nos entreprises de mieux concurrencer les sociétés étrangères. "Le secteur tout entier (patrons et syndicats) demande au gouvernement de réduire le coût salarial de 6€/h dans la construction", indique Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération. Une demande qui sera peut-être entendue puisque le ministre Borsus prône la même solution. "Il faut baisser les charges patronales qui pèsent sur le salaire net des travailleurs. Selon les études, notre pays se trouve tout en haut des pays où l’on taxe le plus le travail. Ce qui amène à recourir à des pratiques illégales, comme le travail au noir", souligne le libéral.
Après 3 ans, David perd ses allocations: "Comme je n’ai pas d’argent, je ne sors pas"
David, lui, ne veut pas attendre que toutes ces mesures portent leur fruit. "Je ne suis pas du genre à baisser les bras tout de suite. Mais après trois ans de galère, je laisse tomber la maçonnerie, où les portes restent fermées".
Il y a quelques mois, il commence donc à postuler pour travailler dans des magasins, des supermarchés, des administrations communales et même comme technicien de surface. Sans succès.
Au fil des mois, son moral se dégrade. Et sa situation financière devient catastrophique lorsqu’il perd ses allocations d’insertion, limitées à trois ans. C’était le 20 août dernier. "Je me sens mis à l’écart, abandonné. Comme je n’ai pas d’argent, je ne sors pas. Avoir une vie sociale, c’est impossible quand on n’a pas d’argent en poche", souligne le jeune homme. Selon lui, le CPAS refuse de lui octroyer une aide financière car les revenus de ses parents sont considérés comme trop élevés. "Sans eux, je me serais retrouvé à la rue", reconnaît-il.
Une lueur au bout du tunnel: il décroche un job dans la restauration
Il y a environ deux semaines, alors qu’il est au plus bas, la chance lui sourit enfin. David passe par hasard devant un restaurant d’une chaîne de fast-food. Sans conviction, il donne son CV. "Je ne pensais pas avoir un retour, mais le soir-même j’ai eu une réponse positive et un rendez-vous pour un entretien. J’étais super heureux", confie David qui décroche finalement un job à mi-temps.
"Je pense que j’ai eu le boulot parce que je bénéficie toujours du plan Activa (ndlr: une mesure qui prévoit une réduction des cotisations patronales en cas d'embauche). Et lors de l’interview, j’ai joué la carte de la pitié. J’ai avoué que je ne vivais de rien", révèle le jeune homme. "Je suis content parce que c’est mon premier contrat déclaré et que cela me permet de sortir de ma misère", se réjouit-il. "Et puis, c’est comme une révélation pour moi. Je me sens super bien dans la vente. J’aimerais beaucoup travailler dans un magasin."
Une nouvelle épreuve à traverser, mais il ne compte pas sombrer
Peu de temps après cette bonne nouvelle, sa maman perd malheureusement la vie. Un coup dur pour le jeune homme. Malgré cette épreuve, il compte bien faire preuve de ténacité pour améliorer son futur."Ce job est une expérience sur mon CV, cela peut m’ouvrir des portes. J’aimerais travailler au moins un an pour récupérer mes droits et obtenir une allocation de chômage sur base d’un travail salarié. Mais cela m’arrangerait mieux d’avoir un temps plein pour gagner plus d’argent", confie le Wallon. Courageux et motivé, David assure qu’il va donc persévérer dans ce secteur pour trouver un emploi dans un magasin. Espérons que son souhait se réalise.
Julie Duynstee
Vos commentaires