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Le cri de Sarah, une surveillante d'internat: elle décrit les conditions "d'un autre temps" de son métier

Le cri de Sarah, une surveillante d'internat: elle décrit les conditions "d'un autre temps" de son métier
 
 

C’est un métier peu connu et visiblement peu reconnu. Depuis 15 ans, une Wallonne travaille en tant que surveillante-éducatrice dans un internat secondaire. Un job qu’elle effectue avec passion, malgré les nombreuses difficultés de sa fonction. Des heures de nuit non payées, pas de prime ni de considération. Pour cette mère de famille, les éducateurs internes sont les "oubliés" du système. Pour l'administration, il s’agit d’un choix éclairé et dès lors assumé.

"Il ne faut pas tirer sur la corde comme ça. Je ne sais pas si je pourrai tenir jusqu’à ma pension", confie une mère de famille. Excédée par les injustices liées à sa fonction, cette éducatrice interne a décidé de témoigner via notre bouton orange Alertez-nous. "Je souhaite garder l’anonymat sachant que nous ne sommes pas nombreux à travailler en internat, mais je veux dénoncer ces pratiques d'un autre temps. J’ai besoin de le crier haut et fort", explique cette dame âgé d'une trentaine d'années. Nous l’appellerons Sarah afin de préserver son identité.

Depuis 15 ans, cette trentenaire exerce le métier de surveillante-éducatrice dans un internat scolaire géré par la Fédération Wallonie-Bruxelles. "J’ai eu la chance de décrocher un emploi là-bas et je suis nommée. Il se trouve pas loin de mon domicile", indique Sarah (prénom d'emprunt). Son job consiste non seulement à mettre en place des études pour les élèves afin d’assurer un suivi scolaire, mais aussi d’organiser des activités sportives ou créatives en soirée ainsi que d’être à l’écoute de ces adolescents qui sont séparés de leur cocon familial pendant la semaine. "Un éducateur à l’école va plutôt prendre des présences, contacter des parents si un élève est absent ou surveiller des études. Ici, c’est quand même un lieu de vie pour les élèves. Il y a donc une relation différente et des objectifs différents", souligne la trentenaire.


"Entre 23h et 6h30, je ne suis payée que 3h car j'ai une chambre" 

Autre différence de taille: les horaires. Les éducateurs externes travaillent la journée dans les établissements scolaires alors que les internes s’occupent des élèves lorsqu’ils ne se trouvent pas à l’école. Ils arrivent donc généralement à l’internat vers 14h-15h et repartent le lendemain matin. "Au sein de mon internat, les éducateurs font deux nuits par semaine. Une nuit du dimanche une semaine sur deux ainsi qu'une soirée de semaine. Je travaille donc le lundi de 14h30 jusque mardi 8h, je reviens à 15h jusque mercredi 8h, le jeudi de 13h30 à 20h30 ainsi qu'un dimanche sur deux de 20h30 au lundi 8h", énumère avec précision l’éducatrice.

Si on additionne ces heures, on dépasse largement 36h par semaine, le nombre d’heures qui figure sur sa fiche de paie.

Pourquoi ? Sur base d’une loi datant de 1959, les heures de travail des éducateurs durant la nuit (entre le coucher et le lever des élèves) ne sont comptabilisées que trois heures en termes de rémunération. "Entre 23h et 6h30, je ne suis payée que 3h car j'ai une chambre et donc le droit de me reposer. On appelle ça les nuits dormantes", explique la trentenaire.

Sarah et ses collègues disposent en effet d’un lit au sein de l’établissement. Leur sommeil est toutefois léger en raison de leurs responsabilités. Ils doivent tendre l’oreille pour intervenir s’il y a un problème avec un ou plusieurs élèves. "Sur une nuit de 6h, je vais parfois me lever une dizaine de fois parce que j’entends des élèves qui vont aux toilettes ou dans les chambres des autres. Il faut quand même aussi un peu gendarmer", confie la Liégeoise. "Cela reste donc quand même un travail épuisant, de nuit, qui est difficile. On n’est pas à la maison et on doit rester à disposition de l’employeur. Et le fait que ces heures-là ne soient pas comptabilisées entièrement, cela reste révoltant pour nous", souligne Sarah. Elle prend notamment l’exemple du personnel médical en milieu hospitalier qui enchaîne également des gardes avec des moments de repos la nuit mais qui sont payés pour chaque heure de travail prestées.

"Pourquoi la loi est-elle différente pour nous", s’interroge-t-elle.


Une pétition lancée il y a deux ans 

Et Sarah est loin d’être la seule à exprimer sa colère face à cette situation jugée discriminante. Il y a deux ans, un éducateur interne à Spa avait lancé une pétition pour réclamer une meilleure prise en compte de ces heures. "Depuis 15 ans, nous demandons courtoisement que cette présence de nuit soit valorisée. RIEN !!! Un dédain manifeste vis-à-vis de la minorité que nous représentons. Depuis 15 ans, nous refusons de faire grève pour ne pas prendre en otage des familles qui n'y peuvent rien", peut-on lire sur le site lapetition.be.

En outre, Sarah estime que les éducateurs internes devraient bénéficier d’une valorisation salariale pour compenser non seulement les horaires de nuit mais aussi en soirée et durant les jours fériés. Actuellement, ils se retrouvent au même barème que les instituteurs et les éducateurs externes. "On touche exactement le même salaire. Cela ne change rien si on travaille un dimanche par rapport à un jour de semaine. Ce métier, on le fait par passion et pas pour l’argent, mais à un moment on se dit que ce n’est pas normal de ne pas avoir de prime", estime-t-elle. Le législateur n’a en effet pas prévu d’indemnités financières complémentaires pour le service de nuit.


"C’est un vrai scandale, une arnaque légale"

La mère de famille épingle un autre "scandale": les formations obligatoires à prester pendant la journée, en dehors des heures de travail.

"Chaque année, nous sommes tenus d’effectuer six demi-journées de formation. Elles se font donc sur notre temps libre et ne comptent pas dans notre salaire. Nos heures ne sont donc ni payées, ni récupérées ! A nouveau 24h de travail bénévole par an. Sans compter la fatigue engendrée par le fait d'accumuler les heures. Si je travaille le dimanche et que j’enchaîne la formation, je travaille quasi 36h d’affilée. Ce n’est pas tenable du tout. C’est un vrai scandale. Une arnaque légale", s’insurge Sarah.

Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on souligne que tous les membres du personnel doivent suivre des formations continuées. "Et pour aucun de ces membres il n’est question de récupération et/ou de valorisation autre que morale en cas de participation à ces formations", indique Claire Morlighem, collaboratrice communication de l’administration générale de l’Enseignement. 


"Le petit barbecue d’été avec des amis, on doit le mettre de côté"

Au-delà de l’épuisement corporel et psychologique, les horaires de travail décalés ont des répercussions sur le confort de vie familial et social de Sarah. "Il faut bien avouer que quand on travaille en soirée, et bien, le petit barbecue d’été avec des amis, on doit le mettre de côté", souligne-t-elle. La trentenaire doit aussi composer avec son rôle de maman puisqu’elle a deux enfants de 8 et 12 ans. Séparée du papa, elle tente d’avoir des moments privilégiés avec eux lorsqu’elle ne travaille pas. "Plusieurs jours par semaine, ce n’est pas avec mes enfants que je fais les devoirs. Mais, ils ont toujours connu que ça. Donc, je pense qu’il y a une certaine habitude et ils sont très compréhensifs. Ils savent que j’aime mon métier."

Malgré toutes ces difficultés, Sarah ne voudrait pas changer de travail. Les relations intimes développées avec les élèves de son internat sont primordiales. Des attachements qui sont beaucoup plus difficiles à obtenir en tant qu’éducateur externe. "J’ai quand même fait une petite parenthèse. J’ai voulu tenter le travail dans une école parce que c’était difficile de continuer à faire les nuits. Mais finalement je suis revenue dans mon internat car je n’ai pas trouvé ce lien social privilégié avec les élèves", explique-t-elle.


"Nous sommes corvéables à merci car trop peu nombreux pour nous faire entendre"

Ce que souhaite Sarah, c’est une réelle considération de son métier peu connu. Avec la récente réforme des titres et fonctions dans l’enseignement francophone, elle espérait un changement pour les éducateurs d’internat. Mais leur statut n’a pas bougé. Un espoir parti en fumée et transformé en colère remplie d’amertume. "Et oui, nous sommes bien en 2016, en Belgique, pays des droits de l'homme et de la démocratie. Tout cela instauré par notre très chère Communauté française. Rien n'est adapté à nos conditions de travail. Très clairement, nous sommes les forçats des ministres de l'enseignement, corvéables à merci car trop peu nombreux pour nous faire entendre", s’insurge la trentenaire. Les éducateurs internes sont en effet disséminés en petites équipes au sein de divers établissements. Ce qui complique leur capacité de mobilisation.

Sarah a particulièrement été révoltée par les réactions du gouvernement suite à la fermeture de l’usine Caterpillar à Gosselies. "Les ministres demandent aux entreprises privées de mettre la main au portefeuille et de respecter leurs travailleurs. Mais ils devraient regarder ce qui se passe dans le service public. Comment un gouvernement peut-il accepter que ses propres fonctionnaires soient traités de la sorte", demande-t-elle.


"Les éducateurs internes ne sont pas abandonnés"

L’administration compétente réfute toutefois un tableau si sombre. "Les éducateurs internes ne sont pas "abandonnés" par le réseau puisqu’il y a à la fois un conseiller pédagogique spécifique à cette fonction et il y a un chargé de mission au sein du Service général de l’Enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui est lui-même un administrateur d’internat", assure Claire Morlighem. Par ailleurs, elle souligne le fait que les éducateurs internes travaillent sur base volontaire. "Ils connaissent leurs conditions de travail avant leur nomination puisqu’il y a plusieurs années de temporaire avant de devenir définitif." En d’autres termes, c’est à prendre ou à laisser.

Une réponse qui n’apaisera sûrement pas le sentiment de colère de Sarah. En revanche, cela risque de renforcer son envie de dénoncer une "injustice" au nom de tous ses collègues. "Il existe d’autres métiers pénibles. C’est un choix que nous avons fait. Mais il est temps que nous soyons enfin reconnus pour le travail accompli." 


 

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