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Harcelée à l’école puis violée, Marion décide de livrer un témoignage plein de courage: "Je ne l’ai jamais dit à personne, mais j’ai failli me suicider"

Harcelée à l’école puis violée, Marion décide de livrer un témoignage plein de courage: "Je ne l’ai jamais dit à personne, mais j’ai failli me suicider"
 
 

Une adolescence minée par les insultes, suivie d’une agression sexuelle. A deux reprises, la vie de Marion a été brisée. Cette jeune femme a toutefois décidé de se battre face à son destin douloureux. Et aujourd’hui, elle veut aider les autres victimes en livrant un témoignage intime et poignant.

C’était il y a environ un mois. Un message envoyé via notre page Alertez-nous attire particulièrement notre attention. "Il m’a fallu tout un temps pour vous écrire... Je ne sais pas comment aborder la chose. J’ai vécu deux événements traumatisants. ..Je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas et j’aimerais donner des conseils pour aider les autres." Ce sont les mots de Marion, une jeune femme de 23 ans. Derrière son sourire et une force de caractère apparente se cachent des douleurs enfouies au plus profond d’elle-même.


"On m’a insultée de tous les noms: Dumbo, Gollum,…"

Le premier traumatisme remonte à l’adolescence. Cette habitante d’Enghien est victime d’harcèlement à l’école."Ça a commencé en 2ème secondaire, vers 13-14 ans. On m’a insultée de tous les noms: Dumbo, Gollum,… On me disait que j’étais moche, que j’avais la taille d’un pou. Je revenais tous les soirs en pleurs à la maison », confie Marion. Ce sont surtout ses oreilles décollées qui sont sources de moqueries de la part de ses camarades de classe. "J’ai aussi été harcelée sur les réseaux sociaux. C’est là que j’ai commencé à en parler avec mes parents", ajoute-t-elle.

Ni ses professeurs, ni ses parents ne semblent pourtant mesurer la gravité de la situation. "Les profs ont vu, mais n’ont rien fait. Mon père n’a strictement rien fait non plus. Et ma mère me disait de ne pas m’inquiéter, que mon physique était bien et que ça allait passer. Elle essayait de me rassurer", se souvient la jeune femme.


"Je me suis passée la corde autour du cou"

Face aux insultes qui se répètent, Marion se renferme complètement sur elle-même. "J’ai essayé de faire le maximum pour m’en sortir. Au niveau scolaire, ce n’était pas du tout ça." Son désarroi est tel qu’elle pense mettre fin à ses jours. Un geste qu’elle révèle pour la première fois. "Je n’en pouvais plus… Personne ne le sait, mais j’ai failli me suicider à cause de cela. J’avais 13-14 ans. Vous êtes la première à le savoir, confie-t-elle. Je me suis passée la corde autour du cou, j’ai un peu serrée et puis je me suis dit ‘non tu ne peux pas faire ça quand même’. Pour mes parents, pour ma sœur, pour ma famille. Je savais qu’on m’aimait malgré ça."

Cette tentative de suicide reste donc un secret. Elle n’en parle à personne, par crainte de susciter des inquiétudes."Je n’ai rien dit, même pas à ma mère alors que je lui dis tout. J’avais peur de sa réaction, qu’elle se sente mal", explique-t-elle. Dix ans plus tard, ce souvenir ressurgit lors de notre conversation. Et si elle décide de nous le dévoiler aujourd’hui, c’est pour éveiller davantage une prise de conscience. Elle veut insister sur le fait que le harcèlement scolaire détruit certains jeunes. "Quand j’ai vu ce qui s’est passé avec plusieurs jeunes ces dernières années, j’ai eu l’envie d’hurler et de dire ‘putain les gars faites quelque chose, ce n’est pas possible’. Les professeurs doivent réagir", lance-t-elle.


"Pendant sept ans, je n’ai pas osé m’attacher les cheveux"

Malgré ces années sombres à l’école secondaire, Marion réussit à s’affirmer et forge sa personnalité. En débarquant à Bruxelles pour entamer ses études supérieures, elle trouve enfin des personnes de confiance dans le milieu estudiantin qui l’aident à se sentir bien dans sa peau. Après deux ans en tourisme, elle change d’orientation et découvre sa voie. "Je suis en dernière année en assistante sociale. Aujourd’hui, je suis hyper affirmée, j’ose parler en public, se réjouit-elle. Mais il y a encore des petits restes de ce harcèlement. Je me demande toujours si je suis bien. Et je me demande mille fois si je vais m’attacher les cheveux ou pas. Pendant presque sept ans, je n’osais pas le faire par peur des critiques. C’est con, hein. J’ai commencé à le faire il y a quatre ans seulement." Si elle parvient à se sentir plus épanouie dans sa vie de jeune adulte, c’est surtout grâce à ses amies et son compagnon. "Je dois les remercier parce que ce sont elles qui ont su me remonter vers le haut. Maintenant que je suis bien entourée, je ne vais plus les lâcher et elles n’ont pas intérêt à me lâcher. J’ai aussi un copain et ça m’aide énormément. En secondaire, je n’ai pas eu de relation. J’étais isolée, parfois seule sur un banc, exclue", se souvient-elle.

Cette joie de vivre retrouvée est toutefois ébranlée par un deuxième événement traumatisant. Une agression sexuelle. C’était le 24 octobre 2013, le jour de son anniversaire. Marion fait la fête avec des amis dans un bar du centre de Bruxelles. Après avoir remarqué que quelqu’un avait volé son smartphone, elle sort de l’établissement pour rejoindre des copains à Anderlecht. La jeune femme marche jusqu’à la gare centrale pour prendre le métro. Après quelques minutes, elle se rend compte qu’il est déjà trop tard. Les métros ne circulent plus à cette heure-là.


"Je me suis réveillée nue avec sa tête entre mes jambes"

"Mon agresseur est alors venu me parler. J’étais en pleurs. Il m’a demandé mon prénom et pourquoi je pleurais. Je lui ai donc expliqué la situation. Que j’étais dans la merde, que je n’avais plus de téléphone, que je voulais aller à Anderlecht et que je ne pouvais plus rentrer chez moi à Enghien", raconte-t-elle. Le jeune homme dit s’appeler Karim, lui donne son numéro de téléphone et affirme être un touriste qui vit à Paris. Il lui explique qu’il dort dans une auberge de jeunesse à proximité et qu’il veut bien prendre une chambre pour elle. "D’abord, je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée, mais comme j’étais au plus mal, je l’ai suivi. J’étais un peu en état d’ébriété, c’était mon anniversaire, je ne vais quand même pas rien boire", souligne-t-elle. Arrivés à l’hôtel, Marion reste d’abord seule dans la chambre du jeune inconnu. "Il est parti voir s’il y avait encore une chambre disponible. Cinq minutes plus tard, il est revenu en disant qu’il n’y en avait plus. Je me suis donc couchée toute habillée sur son lit, en attendant que les heures passent." La jeune femme réussit à dormir un peu… jusqu’à ce qu’elle ressente sa présence à ses côtés. En érection, il lui fait sentir qu’il a envie d’elle, mais elle parvient à le repousser. "Je sens des mains sur moi et je lui dis d’arrêter. Puis, je me suis rendormie", relate-t-elle. "Soudain, plus tard dans la nuit, je me suis réveillée nue avec sa tête entre mes jambes. J’ai commencé à hurler ‘non arrête’. Mais il est alors venu sur moi et m’a pénétré sans mon consentement. J’ai à nouveau crié et il a mis sa main sur ma bouche. Il m’a dit ‘arrête de crier’ et il s’est retiré." Karim continue ensuite de la caresser, en prétendant qu’il est encore trop tôt pour partir."Je me suis alors rhabillée et je voulais partir. Mais il me mentait sur l’heure et ne voulait pas me laisser partir." Marion est contrainte de se débattre pour quitter les lieux. Il est alors environ 7h du matin. L’étudiante prend le tram et rentre chez elle, à Enghien.

Très choquée, Marion attend deux, trois jours avant d’en parler avec ses proches. Leur première réaction est de "minimiser" les faits."Au début, mes parents me culpabilisaient. Ils disaient que c’était de ma faute et que j’aurais dû les appeler. Je leur ai répondu ’mettez-vous à ma place, soyez dans un état de choc’. J’ai aussi parlé du viol avec ma sœur, mais c’était difficile. On me disait que mon histoire était farfelue. Mais je pense que c’était une barrière de protection pour ne pas rentrer également en souffrance." Ce n’est qu’après une réelle prise de conscience que sa famille prend les devants pour l’épauler.


Poussée par une amie, elle finit par porter plainte: "Je me sens coupable !" 

Quatre jours après les faits, Marion fait des tests anonymes dans un hôpital bruxellois renseigné par sa sœur. Comme Karim n’avait pas mis de préservatif, elle s’inquiète de sa possible contamination au virus du VIH. Le médecin écoute son histoire et lui conseille vivement de porter plainte. Ses proches l’encouragent également. Mais c’est surtout sa meilleure amie qui insiste. Marion finit par accepter. Le 29 octobre, elles se rendent ensemble au commissariat près de la Grand-Place à Bruxelles. "Les policiers étaient surpris parce que je devais dire en face d’eux devant tout le monde : ‘Je me suis fait violer’. Ce n’était pas facile." Les policiers l’invitent à se rendre dans un local pour prendre sa déposition. Marion se sent alors clairement responsable. "J’ai eu beaucoup de mal à venir faire cette démarche. Je n’en avais pas envie car pour moi c’était de ma faute. Je n’ai pas voulu venir aussi car j’avais peur qu’on ne me prenne pas au sérieux et qu’on se moque de moi. Ce témoignage est difficile. Je me sens énormément coupable ! Je n’en dors plus", peut-on lire dans son PV d’audition. Au moment des faits, l’étudiante n’est plus vierge et se demande aussi comment prouver cette violence sexuelle.

Ces sentiments de culpabilité et d’impuissance ne surprennent pas Catherine François, présidente de l’asbl SOS Viol. "Dans notre société, c’est toujours un réel tabou. C’est plus facile d’être victime d’un carjacking que d’un viol. Certains considèrent que la femme est une dévergondée qui n’aurait pas dû sortir à cette heure-là, habillée comme ça… Ce qui engendre une énorme culpabilité. Alors que toutes les statistiques montrent que les vêtements n’ont rien à voir. On est violé en jupe, en jogging, en djellaba. L’agresseur éprouvera le même plaisir de destruction quel que soit l’habit. Savoir cela permet de casser les préjugés et la culpabilité associée. Une victime de viol est en fait doublement victime à cause de cela. Elle se sent responsable alors que ce n’est pas le cas", souligne la présidente de cette association, créée il y a 30 ans à Bruxelles.


"Cela ne va pas guérir la victime, mais c’est crucial que l’agresseur soit puni"

D’après une étude relayée par Amnesty International, peu de victimes entreprennent d’ailleurs des démarches suite à leur agression. Les plaintes à la police sont donc rares. Et comme le souligne Catherine François, la majorité des agresseurs sont des personnes connues de la victime (ami, beau-frère, collègue, voisin, etc.). "Dans ce cas-là, le viol est vécu comme une trahison qui représente une difficulté supplémentaire car il faut dénoncer une personne de son entourage."  

Or, le fait de porter plainte est très important. "Cela ne va pas guérir la victime, mais c’est crucial que l’agresseur soit puni. De toute façon, il sera condamné à moins de 5 ans de prison puisqu’il sera jugé par un tribunal correctionnel. L’avantage de ce tribunal, c’est que c’est une procédure rapide. Un jugement en assises, cela peut prendre 6-8 ans, et c’est difficile pour certaines victimes car elles se raccrochent au procès et ne peuvent pas faire leur deuil", indique la responsable de SOS Viol. "Même si ce n’est pas facile d’aller porter plainte, moi il a fallu me pousser, c’est important", confirme Marion.


Un examen à l’hôpital pour collecter des preuves

Afin de faciliter une enquête, la police recommande aux victimes de se rendre rapidement dans un hôpital. Afin de bénéficier des soins nécessaires, mais aussi pour réaliser un examen médico-légal. Il s’agit du Set d’Agression Sexuelle (SAS). "Il a été créé pour standardiser les prélèvements à la recherche de preuves chez la victime de viol. Il doit être réalisé endéans les 72 heures de l'agression et ne peut être ouvert que sur ordre du procureur du roi qui requiert un médecin pour faire cet examen", indique le docteur Christine Gilles, gynécologue au CHU Saint-Pierre. Ce centre hospitalier est particulièrement réputé en Belgique pour la prise en charge des victimes de violences sexuelles.

Dans le cas de Marion, le délai légal pour réaliser cet examen est dépassé lorsqu’elle se présente au commissariat. En outre, malgré une investigation policière, le suspect reste introuvable. "La police ne l’a toujours pas retrouvé. Il est fiché chez Interpol et est recherché aussi bien en Belgique, qu’en France et en Algérie", indique-t-elle. Faute d’interpellation, l’enquête est ainsi provisoirement classée sans suite.


Elle reçoit une confirmation de son statut de victime: "J’ai hurlé dans le bureau de poste"

Puisque son agresseur est inconnu, aucun procès n’est donc possible dans l’immédiat. Pour recevoir une indemnisation, Marion a toutefois le droit faire une demande auprès de la commission pour l’aide financière aux victimes, qui dépend du SPF Justice. Une démarche qu’elle décide d’entreprendre. Et bonne nouvelle, sa demande est acceptée. "En octobre l’année dernière, j’ai reçu une première lettre qui disait que mon agression était bien reconnue. J’ai hurlé dans le bureau de poste", avoue-t-elle. Après une audition devant la commission, Marion reçoit une deuxième lettre début février cette année pour lui dévoiler le montant de l’indemnisation. "Je sais que cette somme d’argent ne va jamais effacer ce que j’ai vécu, mais c’est une reconnaissance de mon statut de victime."

Pour prendre sa décision, la commission s’est notamment basée sur les séquelles médicales de Marion. Pour gérer le stress post-traumatique, les différents acteurs de terrain (policiers et professionnels de la santé) conseillent aux victimes un suivi psychologique. Lorsqu’elle dépose plainte, les agents de police prennent d’ailleurs rendez-vous pour elle avec le service d’aide aux victimes. "J’ai parlé une petite heure avec eux, mais ce n’est pas eux qui m’ont vraiment aidée. C’est moi parce que je suis quelqu’un qui se bat pour les choses. Je me suis dit : ‘Je ne vais pas arrêter de vivre parce que quelqu’un a osé me toucher’", révèle l’étudiante.


Cauchemars, stress, angoisse: des séquelles de l’agression

Environ deux mois après le viol, elle se rend tout de même chez une psychologue, conseillée par son père."Je l’ai d’abord consultée parce que j’ai eu une peine de cœur. Mais ça cachait en réalité ma souffrance par rapport à cette agression. Quand ce problème de cœur a été résolu, les séquelles de l’agression sont revenues: des troubles du sommeil avec cauchemars, la peur de sortir seule le soir, des angoisses", confie-t-elle. Dans son rapport, sa psychologue explique que Marion revit dans ses rêves cette expérience sombre de son histoire dans tous ses détails. Après plusieurs séances, la jeune femme décide d’arrêter. "La psychologue ne savait plus rien faire pour moi. Elle m’a alors donné les coordonnées d’une hypnothérapeute qui est spécialisée dans les traumatismes. Par la suite, j’ai refusé d’y aller parce que je n’aime pas l’hypnose."

Pour adoucir sa souffrance intérieure, Marion préfère compter sur elle-même et le soutien de ses proches. "Si on veut s’en sortir, il faut seulement compter sur soi et trouver la force nécessaire pour se battre. Il est vrai que ce n’était pas évident tous les jours. Mais quand on est bien entouré, il devient plus facile de se battre." Depuis le début, la jeune femme décide d’en parler ouvertement. En classe, avec les autres étudiants et les professeurs. Mais aussi avec son compagnon."Lors de notre première rencontre, je lui en ai parlé. Je joue les cartes sur table, je n’ai pas envie de mentir. Il était très surpris au départ, mais c’est quelqu’un de très ouvert qui a directement accepté ça. Et il m’a laissé du temps. C’est mon intimité mais mon copain n’a pas pu me toucher directement." 

"Il faut en parler, c’est très bien. Le tabou ça renforce le sentiment de culpabilité", commente la présidente de SOS Viol.


"J’emménage au mois de juin avec mon amoureux"

Aujourd’hui, Marion affirme être heureuse, malgré quelques traumatismes qui persistent. Elle ne supporte par exemple pas de prendre le métro bondé et qu’un inconnu la touche. "J’emménage au mois de juin avec mon amoureux. Malgré des angoisses et du stress qui ressurgissent parfois, c’est rare que je ressasse tout ça. Cela s’estompe avec le temps, même si on ne sait pas oublier ça."

Elle redoute cependant d’être un jour confronté à nouveau à son agresseur."Si un jour la police le retrouve et l’arrête, je ne sais pas comment je vais réagir. Comme toute victime, j’aimerais bien qu’il soit puni et incarcéré pour ce qu’il a fait, mais j’ai peur de le revoir", craint-elle.

Et puis, Marion pense aussi à son futur. Le fait d’avoir une fille l’inquiète particulièrement."Est-ce que je la laisserai sortir ? Est-ce que ma conscience va parler ? Je n’en sais rien. Mais il faudrait que j’évite d’être trop mère poule", estime-t-elle, avec un sourire dans la voix.

Julie Duynstee


 

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