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France a galéré pour trouver son antidouleur: pourquoi y a-t-il de plus en plus souvent des médicaments en PÉNURIE?

 
 

Pour apaiser ses douleurs, France n’a d’autre choix que de prendre du Valtran, un puissant antidouleur. Récemment, elle a dû téléphoner à des dizaines de pharmacies et parcourir de nombreux kilomètres pour trouver le précieux médicament. Une situation qui la scandalise, mais qui risque pourtant de survenir à nouveau.

France souffre de rhumatismes très douloureux. Elle a mal au dos, aux lombaires, aux cervicales, aux poignets, et même aux coudes. Pour apaiser ses douleurs chroniques, elle prend du Valtran, un puissant antidouleur. "C'est la seule médication qui vient à bout de mes douleurs que j'ai depuis des années", nous écrit-elle via notre page Alertez-nous. Et elle n’est pas la seule. Lorsqu'elle a voulu se réapprovisionner à la veille d'un des longs week-ends du mois de mai, son pharmacien lui a annoncé qu'il n'en avait plus.

Le médicament était en rupture de stock, le fournisseur ne livrait plus, et il était impossible de savoir combien de temps cela durerait. France est donc partie en quête du précieux médicament. Elle a fait le tour des pharmacies de sa région, mais ce n’est qu’après avoir parcouru de nombreux kilomètres qu’elle a fini par en trouver. Mais que "doivent faire des personnes qui ne savent pas se déplacer, ou qui n'ont pas beaucoup de moyens?", s'inquiète France. Suite à ce témoignage, nous avons enquêté sur les causes de la pénurie de Valtran, et plus généralement de n’importe quel médicament.


"Sans Valtran, je n’arrive même pas à me mettre debout le matin"

Sans emploi depuis un an, c’est le métier de France qui est à l’origine de ses douleurs. "Je suis repasseuse, j’ai malmené mon corps toute ma vie pour mon travail", explique l’habitante de Hannut. Face à ses problèmes de santé, elle a déjà tout essayé. "J’ai testé plusieurs médicaments, mais sans succès. Je me suis rendue plusieurs fois chez des kinésithérapeutes et des ostéopathes, mais ça ne dure qu’un temps et il faut y retourner régulièrement, ce qui est très coûteux", précise France.

Pour dissiper la douleur, la seule solution de France est de prendre du Valtran, l’antidouleur le plus puissant après la morphine. "Sans Valtran, je n’arrive même pas à me mettre debout le matin", explique l’Hannutoise de 56 ans.


"Chaque jour, j’ai une trentaine de médicaments en pénurie"

Le pharmacien de France confirme les problèmes d’approvisionnement. "Avant je n’avais jamais eu de pénurie de Valtran, mais là c’est la quatrième fois en deux ans. Au début ça durait un mois ou deux, mais cette fois, elle a duré presque quatre mois", explique Jean-Marc Brumagne, pharmacien à Wasseiges, en province de Liège.

Mais le Valtran n’est pas le seul médicament à subir des pénuries. "Chaque jour, j’ai une trentaine de médicaments en rupture de stock", explique Jean-Marc Brumagne. D’année en année, le problème semble s’aggraver. "Je suis pharmacien depuis 22 ans. Il y a toujours eu des pénuries, mais elles deviennent de plus en plus fréquentes, le problème s’est amplifié ces dernières années", ajoute le pharmacien.

Une situation que France juge "proprement scandaleuse", mais qui ne surprend pas Alain Chaspierre. "Ça fait à peu près quinze ans qu’on se bat sur ce sujet", explique le secrétaire général de l’Association pharmaceutique belge.


L’industrie pharmaceutique concentre sa production pour faire des économies

Deux phénomènes entraînent ces pénuries. Pour faire des économies, l'industrie pharmaceutique rationalise de plus en plus. Elle concentre la production d'un médicament dans un seul site de production. Conséquence: s'il y a le moindre problème technique ou un problème de qualité sur ce site, la fabrication s'arrête. Et si le médicament est fort demandé, comme le Valtran, la pénurie arrive rapidement. "Pour le moment, il est n°1 dans les médicaments cités par les pharmaciens parce qu’il est énormément dispensé", rapporte Alain Chaspierre.

Le deuxième phénomène est davantage structurel: il s'agit du contingentement. "Pour déterminer le nombre de médicaments qu’elles vont produire, les firmes pharmaceutiques fixent un quota de production pour chaque pays", explique Ann Eeckhout, porte-parole de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Pour établir ce quota, les firmes se basent sur la consommation des années précédentes et sur les besoins prévus.

Les fournisseurs des pharmacies, c’est-à-dire les grossistes, les répartiteurs, ou encore les associations de pharmaciens, ont l’autorisation de vendre les médicaments à l’étranger. "Il s’agit d’une permission spécifique qui n’est d’application que s’il n’y a pas de risque de pénurie", explique Ann Eeckhout.


Une enquête a lieu en cas de pénurie

Lorsqu’une pénurie a lieu, une équipe "task force" de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé est chargée d’analyser le problème. "Nous avons des enquêteurs qui vont remonter la chaîne de distribution", explique Aan Eeckhout. Si le risque de pénurie était prévisible et que des médicaments destinés à la Belgique ont été exportés, des amendes administratives sont possibles, et le dossier peut être transmis au parquet pour une action en justice contre les responsables.

"La commercialisation de certains médicaments spécifiques en dehors du territoire belge peut entrainer l’indisponibilité de ces médicaments en Belgique" observait déjà l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé en 2010.

Pour l’Association pharmaceutique belge (APB), il faudrait donc "beaucoup plus de transparence au niveau des grossistes et de leur activité sur le marché national et au niveau de l’exportation de médicaments".


Quelles sont les solutions possibles?

En cas de pénurie imprévisible, causée par exemple par un cas de force majeure (un problème technique dans l'usine qui produit les médicaments), le rôle de l’AFMPS est aussi d’établir un dialogue entre les maillons de la chaine de distribution. "Nous nous réunissons avec les différents acteurs pour trouver une solution", explique Aan Eeckhout. "Si c’est possible, nous pouvons par exemple importer des médicaments venants d’autres pays pour combler le manque, tant que les règles de conformité sont respectées", ajoute la porte-parole de l’AFMPS. Une liste des médicaments indisponibles, reprenant plusieurs informations, est disponible sur le site de l’agence.

Reste enfin l'alternative d'un équivalent générique. Celle-ci n'est cependant pas toujours possible. "Certains produits sont en effet des produits uniques et pour lesquels il n’y a pas vraiment d’alternative", explique l’Association pharmaceutique belge. Alors, un autre médicament dont la substance active aurait les mêmes effets que celle du médicament en pénurie? C'est une piste que prône l'association. Mais elle nécessite un encadrement, et le soutien des médecins. "Rien n’encadre le changement de médicament par le pharmacien, il le fait sous sa propre responsabilité et on aimerait que ça puisse être acté", conclut l'APB.

Dans le but d'éviter la pénurie, la première idée du patient pourrait être de se constituer des réserves. Un comportement que l'APB déconseille: "C’est un réflexe classique mais ça renforce le phénomène de pénurie", dit Alain Chaspierre.


"1.200 cas d’indisponibilités pourraient causer des problèmes graves de santé"

Face au manque de médicaments, et tant qu’une solution globale n’est pas trouvée, les pharmaciens se trouvent bien souvent désarmés. "Le pharmacien qui n’arrive pas à fournir l’élémentaire à son patient doit passer un temps fou à passer des coups de fil, à essayer de trouver la solution chez ses confrères, à chercher une alternative, à contacter le médecin pour savoir s’il peut donner autre chose", explique Alain Chaspierre, de l’APB.

On imagine aisément que dans certains cas la pénurie peut s'avérer dangereuse. L'association des pharmaciens apporte des chiffres: "Par an, nous estimons que 1.200 cas d’indisponibilités pourraient causer des problèmes graves de santé pour les patients concernés".


Pénurie de Valtran: un problème avec la matière première

Dans le cas du Valtran, la cause de la pénurie est une capacité de production insuffisante. "Des nouveaux lots sont régulièrement mis sur le marché, mais ils sont insuffisants pour couvrir les demandes et sont tout de suite épuisés", explique Olivier Christiaens, chargé de communication à l’AFMPS. Pour les comprimés, les problèmes de production sont dus à des problèmes avec la matière première. Et plus précisément avec l’un des tests nécessaire avant l’envoi des lots.

L’AFMPS a rencontré la firme qui produit le Valtran à la fin du mois de mai pour trouver une solution. "Elle va introduire une variation pour modifier son dossier d’enregistrement au niveau du test. Il y a déjà eu pas mal de discussions avec nos experts pour que les données introduites soient les plus complètes possibles", explique Olivier Christiaens. En attendant, l’AFMPS a autorisé la firme à produire de nouveaux lots de Valtran en attendant l’approbation pour la variation du médicament. L’agence espère que les lots seront disponibles en Belgique d’ici la fin du mois de juin.


Gwendeline Delieux
David Fourmanois


 

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