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Corinne découvre que des prédateurs sexuels s'en sont pris à sa fille de 11 ans sur une appli de discussion: "Ça a été très loin"

Corinne découvre que des prédateurs sexuels s'en sont pris à sa fille de 11 ans sur une appli de discussion: "Ça a été très loin"
© RTL INFO - Club Cooee Facebook
 
 

Corinne a découvert il y a quelques jours que de potentiels pédophiles s'en sont pris à sa fille de 11 ans via une plateforme de discussion en ligne, Club Cooee. Après avoir déposé plainte, la maman a appuyé sur notre bouton orange Alertez-nous pour prévenir d'autres parents. Elle nous explique ce qui s'est passé et les techniques de manipulation utilisées par les prédateurs. Nous avons contacté l'application en cause et la police pour en savoir plus.

Corinne nous explique que tout commence à la fin mai lorsque sa fille de 11 ans télécharge à son insu l'application Club Cooee. Il s'agit d'une plateforme de discussion en ligne où les utilisateurs évoluent dans un monde virtuel et sont représentés par un avatar en 3D qu'ils peuvent personnaliser. Le logiciel est ouvert aux publics de tous âges. Dans ses conditions d'utilisation, l'application stipule que lorsqu'un mineur s'inscrit, il certifie avoir obtenu l'autorisation de ses parents...

"Discute dans des salles de chat cools, fais des rencontres amoureuses dans des endroits étonnants ou détends-toi tout simplement avec tes copains et tes copines", annonce l'application sur son site.

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Mais la fille de notre témoin ne discute pas qu'avec des copains et copines. Dans ce monde virtuel, elle est contactée par des adultes qui ont trois ou quatre fois son âge. Rapidement, les conversations s'enchaînent et certaines se poursuivent sur Snapchat, la célèbre appli de partage de photos et vidéos qui disparaissent après quelques secondes de visionnage. À ce moment-là, Corinne ignore tout de ce qui se passe.

D'après la maman, ce n'est qu'une semaine plus tard, le 6 juin, qu'elle découvre tout. "Ma fille et son grand frère étaient chez leur grand-mère. Quand je suis allée les chercher, mon fils m'a tout expliqué alors que ma fille était en pleurs", indique Corinne. "Il avait entendu sa sœur parler à quelqu'un et il a soupçonné quelque chose. Alors il a cherché sur son téléphone et a découvert qu'elle avait installé cette application Club Cooee, mais aussi Snapchat, sans notre autorisation".

Après ces révélations inquiétantes, Corinne discute avec sa fille et ouvre ses conversations en ligne. Ce qu'elle va découvrir lui fera froid dans le dos.

Ça a été très loin, il a voulu lui montrer ses parties intimes

La fille de Corinne lui explique avoir eu des discussions plus longues avec deux hommes d'âge mûr. Selon notre témoin, l'un d'eux en particulier est parvenu à manipuler la petite fille. "La conversation était très perverse. Ça a été très loin, il a voulu lui montrer ses parties intimes, mais elle a refusé. Ses demandes étaient très explicites, mais elle a refusé d'aller plus loin", indique la maman.

Corinne en est convaincue: sa fille a été confrontée à un prédateur, un pédophile. "C'est un homme de 45 ans qui dit s'appeler Thierry. Il savait que ma fille était une enfant, elle lui a dit qu'elle avait 11 ans. L'âge est affiché et elle lui a même demandé si la différence d'âge ne le gênait pas", indique la mère.

Corinnne avait pourtant déjà parlé des dangers avec sa fille

Face à la situation, Corinne nous indique avoir pourtant régulièrement prévenu sa fille sur les dangers d'internet. La mère assure suivre de près sa fille et son utilisation du téléphone. "Je suis tombée des nues. Je surveille, il y a un code parental. Elle est au courant de tout. On lui a expliqué les affaires de la petite Maddie et de Marc Dutroux", assure Corinne.

La maman se dit même très stricte sur l'utilisation des réseaux sociaux. "On lui a expliqué qu'elle était encore trop jeune. Il n'y a que pour Tik Tok, après son insistance, qu'on a accepté. Mais on a surveillé et on lui a interdit d'afficher son visage", indique Corinne.

Selon elle, sa fille est tombée dans un piège méticuleusement préparé par le prédateur. "Il a été très psychologique pour la manipuler. Elle voulait simplement avoir des abonnés sur son compte Tik Tok et il a joué là-dessus. Il lui a dit qu'il s'abonnerait si elle discutait avec lui et lui envoyait des photos", indique Corinne.

Une plainte a été déposée auprès de la police et le dossier a été transmis au parquet de Tournai. "On ne peut pas laisser faire ces gens-là. Ce n'est pas normal! C'est pour ça que j'ai décidé de témoigner, parce que si on n'en parle pas, il pourrait y avoir plus de victimes", explique Corinne.

Justement, comment la police mène-t-elle une enquête de ce type? Le chef de la section "child abuse" (abus d'enfants) au sein de la direction centrale de la police fédérale nous explique.

Ils ont un certain feeling pour manipuler et pour leur faire faire ce qu'ils veulent

Yves Goethals, le chef de la section, confie ne pas connaître spécifiquement la plateforme Club Cooee. "Il y a des centaines de plateformes sociales comme ça pour parler avec des jeunes, des amis, etc. Les prédateurs le savent, et ils savent qu'il y a aussi beaucoup d'enfants. Alors il se mêlent aux discussions", explique-t-il. "Certains utilisent même des jeux en ligne, car ils savent que les enfants sont concentrés sur le jeu et qu'ils peuvent utiliser cet élément pour les manipuler".

Les manœuvres des prédateurs décrites par le policier rejoignent le témoignage de Corinne: ils manipulent leur cible pour contourner les refus et obtenir ce qu'ils veulent. "Ils savent très bien comment jouer avec un enfant. Ils voient très vite si l'enfant est vulnérable et s'il est facile de l'influencer. Ils ont un certain feeling pour manipuler et pour leur faire faire ce qu'ils veulent", confie Yves Goethals. "On ne peut pas entraîner les enfants à se défendre contre ça, car ils sont trop jeunes. Donc c'est très important que les parents voient quelque chose de pas normal, qu'ils parlent avec leurs enfants".

Dans le cas de notre témoin, Corinne avait justement repéré des changements dans le comportement de sa fille au cours des derniers jours. "Elle était fort angoissée. Elle a eu des petits accidents au lit qu'elle n'avait plus depuis des années. Maintenant qu'on lui a retiré le téléphone, ça va mieux, même si elle a encore très peur", nous a confié la maman durant son témoignage.

Mais revenons-en au travail de la police: qu'est-ce qui est mis en place pour attraper ces prédateurs?

Les victimes doivent garder le plus de preuves possibles

Tout commence par un procès-verbal qui reprend le témoignage de la victime ou de ses parents. "Les victimes doivent garder le plus de preuves possibles. Les conversations, les photos envoyées, tous les échanges, les applications et sites utilisés, mais aussi les dates et les heures. C'est vraiment important pour l'enquête", précise Yves Goethals. Corinne a d'ailleurs remis le téléphone de sa fille aux enquêteurs avec tous les mots de passe, afin de faciliter l'enquête.

La police a des accords avec des sites très utilisés

Le dossier est ensuite envoyé au procureur. Deux cas de figures sont possibles pour les prédateurs en ligne. S'ils ont utilisé une plateforme belge (ce qui est rare) ou une plateforme étrangère avec laquelle la police a un accord, la procédure est plus rapide. "Nous avons des accords d'échange avec par exemple Google, Facebook, Microsoft, etc. pour obtenir des informations sur des suspects. Il faut cependant que le dossier soit solide et que les informations soient très précises pour identifier l'utilisateur. Si la demande est trop vague, ils peuvent se retrancher derrière le respect de la vie privée et refuser de nous fournir les données", explique le chef de la section child abuse.

Si la plateforme n'est pas belge et que la police n'a pas d'accord avec elle, la procédure est un peu plus longue. "Si c'est en dehors de l'Europe, on envoie une commission rogatoire", indique Yves Goethals. Une commission rogatoire internationale est une mission donnée par un juge à toute autorité judiciaire d’un autre État de procéder en son nom à des mesures d’instruction ou à d’autres actes judiciaires. "Si la plateforme est européenne, alors on utilise un mandat d'enquête européen. C'est presque le même, mais c'est limité à l'Europe et c'est plus rapide", précise le policier.

Avant d'aborder l'étape de l'identification du suspect, contactons Club Cooee pour savoir si des prédateurs leur ont été signalés et s'ils seraient prêts à collaborer avec la police.

La réponse de Club Cooee

Club Cooee est une plateforme gérée par l'entreprise allemande "cooee GmbH", basée à Kaiserslautern. La police fédérale belge n'a pas d'accord spécifique avec cette entreprise, mais nous avons nous-même contacté les responsables pour leur présenter nos questions:

  • Combien y a-t-il d'utilisateurs? Et combien d'enfants?
  • Ont-ils été informés de la présence de potentiels pédophiles sur leur plateforme?
  • Comment protègent-ils les utilisateurs, et plus particulièrement les mineurs d'âge?
  • Est-il possible d'y dénoncer des actes répréhensibles?

Malgré nos nombreuses questions, voici la réponse très courte des responsables du site: "Nous ne sommes pas au courant d'un quelconque cas de ce genre. Si un tel cas devait nous être signalé, nous travaillerions bien sûr en étroite collaboration avec la police".

Des avis publics d'utilisateurs signalent la présence de prédateurs

Pourtant, en quelques minutes, nous avons trouvé des avis d'utilisateurs signalant la présence de prédateurs sur la plateforme. Ces avis sont publiés sur la propre fiche de l'application:

  • "Je trouve ce 'jeu' extrêmement mal placé. Des personnes de 12 - 14 ans traînent sur ce jeu, et beaucoup de personne de 30 ans y sont aussi, je ne sais pas si vous voyez la différence d'âge? […] Et comme sur ce jeu nous pouvons envoyer n'importe quelle photo, vous ne savez pas où est ce que ça peut aller. Revoyez vos conditions", commente une certaine anissabkb_.
  • "Faites gaffe il y a des pédophiles. […] Je ne vous conseille pas ce jeux avant 18 ans", réagit Zia Anthian.
  • "Ce jeu est super dans l’ensemble mais il est peuplé de pédophiles qui vous harcèlerons pour des nudes et qui vous pirate sans arrêt", commente Seny_350.

Revenons-en maintenant aux étapes d'une enquête: comment la police peut-être mettre la main sur un prédateur?

Comment identifier le prédateur?

Une fois les démarches réalisées auprès des plateformes en ligne, ces entreprises vont utiliser les informations fournies pour identifier l'adresse IP de l'utilisateur. Pour faire simple, l'adresse IP est le numéro d'identification de l'ordinateur utilisé pour se connecter à internet. Certains internautes peuvent cependant utiliser des techniques pour cacher leur véritable adresse IP, tels que des VPN. "Il faut être honnête, si c'est un expert en informatique, c'est plus difficile. Et il peut arriver qu'on ne trouve pas l'adresse du prédateur. Mais dans la plupart des cas, on arrive à l'identifier", indique Yves Goethals.

Lorsque le prédateur est identifié, nos autorités judiciaires ont deux possibilités. "Soit on fait un échange d'informations vers nos collègues étrangers via les canaux Interpol ou Europol. Soit le parquet peut dénoncer les faits. Par exemple si c'est un Français, le parquet peut dénoncer ses agissements et là les enquêteurs français vont prendre le relais", explique Yves Goethals.

Les enquêteurs utilisent ensuite les moyens habituels pour effectuer leurs recherches: interroger le suspect, mener des perquisitions, saisir son matériel informatique et son téléphone, effectuer une enquête technique sur ce matériel, etc.

Les conseils de l'enquêteur pour les parents

Si le travail d'enquête est important, Yves Goethals rappelle qu'il faut aussi prévenir les enfants en amont. "Dans la rue, on se voit, mais sur internet, il est toujours possible de se cacher et de tromper son interlocuteur. Il faut expliquer aux enfants les risques", indique-t-il.

Le policier pointe également un élément important dans le cas de Corinne. "Sa fille lui a parlé et lui a tout expliqué. C'est très bien. Ça veut dire qu'il y a une relation de confiance qui permet à l'enfant de se confier librement sans avoir peur d'être jugé ou puni", commente-t-il.

Enfin, Yves Goethals invite les parents à consulter le site de Child Focus. Celui-ci dispose d'une partie "FAQ" qui donne de nombreux conseils sur la sécurité en ligne pour les enfants et adolescents, mais aussi sur la façon de créer une relation de confiance.

La pédopornographie a explosé pendant le confinement

Dans la conversation, Yves Goethals confie que la police a constaté une hausse des tentatives d'abus sur internet durant la période de confinement provoqué par le coronavirus. "Il faut être honnête, beaucoup d'enfants ont utilisé des PC et smartphones pour leurs cours ou leurs loisirs", indique-t-il.

Ce constat semble confirmé par les chiffres d'Europol. L'agence européenne de police criminelle a comptabilisé 1 million de faits de pédopornographie en mars dernier, soit 10 fois de plus que d'habitude. D'après le rapport d'Europol, la demande de matériel pédopornographique a été stimulée en cette période d'isolement, mais il n'y a cependant pas forcément eu plus de pédocriminels. "Dans certains pays, davantage d'infractions d'abus sexuels, telles que la sollicitation en ligne et la sextorsion, ont également été signalées", souligne le rapport d'Europol.

Les délinquants échangent aussi des 'meilleures pratiques' sur la façon de tromper davantage de victimes

Selon l'agence européenne, de nombreux fichiers de type vidéos webcam ont été partagés sur les forums de délinquants sexuels. Il peut s'agir de vidéos d'enfants forcés ou contraints d'être filmés, des vidéos produites par les enfants eux-mêmes et qui étaient destinées à leurs amis, ou des vidéos capturées à leur insu. "Les agresseurs ont rapidement réalisé la vulnérabilité des enfants qui sont plus en ligne. Sur ces forums, les délinquants échangent non seulement du matériel abusif, mais aussi des 'meilleures pratiques' sur la façon de tromper et de contraindre davantage de victimes", indique Europol.

Ces conclusions confortent un peu plus Corinne dans son souhait de partager la difficile expérience de sa fille pour prévenir d'autres parents. Elle espère que l'enquête de la police permettre de rapidement mettre la main sur les prédateurs qui s'en sont pris à son enfant.


 

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