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Casser "les codes du genre": la scène drag-queen renaît à Paris

Casser "les codes du genre": la scène drag-queen renaît à Paris
A la Marche des fiertés en juin 2016 à StrasbourgFREDERICK FLORIN
 
 

Les talons comme outil politique: tombées dans l'oubli après les années 90, les drag-queens font leur grand retour à Paris à la faveur du débat sur les questions de genre, nouveau terrain de combat du mouvement LGBT.

Paris, fête de la musique. Un cercle compact entoure les quatre drag-queens invitées à se produire devant un bar de Bastille. "Moth", le visage blanc recouvert de bandes bleues et roses, s'avance vers la foule et mime les paroles de la poignante chanson qui l'accompagne.

Etudiant de 21 ans, Alfie Laurence se glisse dans la peau de "Moth" -- papillon de nuit en anglais -- depuis deux ans. Il appartient à cette nouvelle génération de drag-queens qui, trop à l'étroit dans des définitions classiques du genre masculin-féminin, tentent d'en "casser les codes" à travers des performances artistiques.

Les drag-queens parisiennes avaient connu leur heure de gloire au début des années 1990 quand elles enflammaient les clubs du Queen et du Palace en portant les revendications du mouvement gay. L'époque est alors celle des "travestis", où les hommes se transforment en femme pour imiter Dalida, Marilyn Monroe ou Brigitte Bardot.

Tombée en désuétude, la scène drag renaît aujourd'hui, prête à affronter le nouveau combat de la communauté LGBT autour du mouvement "queer" centré sur les questions de genre.

"Ce pour quoi on continue de lutter, c'est la visibilité, l'acceptation", souligne Alejandro Rodrigo-Lagunas, kinésithérapeute et drag-queen depuis quatre ans.

"Le fait qu'on ait des droits légaux, ça veut pas dire qu'on est accepté et qu'il y a pas des gens qui se font tabasser dans le métro". "Se mettre en talons et sortir dans la rue", c'est pour lui "un geste très politique".

Cette renaissance, qui devrait s'exprimer samedi lors de la Marche des fiertés à Paris, surfe aussi sur le succès d'un concours de talents de queens aux Etats-Unis, l'émission "Ru Paul's Drag Race" retransmise en France depuis 2017 sur Netflix.

Le nombre de drag-queens parisiennes a, depuis, explosé. Entre 100 et 200 jeunes de moins de trente ans, pour la plupart LGBT, ont trouvé dans la "drag" une véritable vocation. "Toutes les semaines il y a des nouvelles drag-queens!" s'amuse Fabien Lesage, 34 ans, organisateur de ces soirées, rue de Lappe.

A l'image de Benjamin Hascoët, intermittent de 25 ans, qui, il y a trois mois, a trouvé son personnage de Vénus, "une créature de la nuit": "J'ai commencé à regarder +Ru Paul+ (...) et je me suis rendu compte que j'étais peut-être fait pour ça".

- Brouiller les frontières -

Caricaturer les traits féminins, plutôt que les imiter: ce rejet des frontières classiques du genre, jugées trop rigides, s'exprime artistiquement.

Plutôt que se travestir totalement en femme, "Vénus" préfère jouer sur l'ambiguité avec un maquillage léger, "où on sait pas si je suis un garçon ou une fille".

D'autres optent pour une moustache à paillettes, ou même la barbe, portée fièrement par Conchita Wurst, la gagnante autrichienne de l'Eurovision en 2014.

"Il y a quelque chose qui est de l'ordre du brouillage du genre" décrypte le sociologue Arnaud Alessandrin, les drag-queens essayant d'en souligner sa "dimension essentiellement artificielle", revendication phare du mouvement queer.

A l'image de leur génération, "Vénus" et "Moth" apprennent à se maquiller grâce à des "tutos" sur Youtube et multiplient les publications sur Instagram, gage de visibilité.

Difficile pourtant de faire de son art une profession rentable. Les cachets des bars où elles dansent, chantent, jouent dépassent rarement 100 euros la soirée, le double ou triple en boîte de nuit.

Car le maquillage, les accessoires, et les VTC pour éviter les fréquentes agressions ont un coût. Face à cette précarité, Vincent Mahoudeaux, de l'association Maison Chérie, a lancé le "Queen", une monnaie alternative imprimée pour donner des pourboires aux performeuses.

Les drag-queens ont pourtant un public, "le plus gros" chiffre de la semaine pour le Street Art de Bastille, conséquence directe de l'émission et des réseaux sociaux. Mais ce public, qui "a rajeuni de 10 ans", "en un an" est modeste et ne parvient pas seul à entretenir la passion de ces reines de la nuit.


 

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