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A Paradise, les pelles et le béton pour surmonter le traumatisme de l'incendie

 

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"Je ne veux pas rester prisonnier du passé. Ç'a été si dur. Maintenant j'ai hâte de reconstruire ma maison, je n'abandonnerai pas!", lance Kevin Lundy, géomètre de 35 ans, en rajustant ses gants de travail d'un geste décidé pour enfoncer un piquet.

Le 8 novembre 2018, un incendie fulgurant a carbonisé sa maison et tous ses biens, comme 18.000 autres bâtiments dans la bourgade de Paradise, dans le nord de la Californie.

Le "Camp Fire" a fait 86 morts et plusieurs dizaines de milliers de déplacés, dont Kevin, son fils de huit ans et leur labrador.

Les équipes d'élagueurs et d'ouvriers qui s'affairent à la reconstruction de la ville ont encore du travail pour plusieurs années mais, au moins durant les jours de semaine, Paradise commence à renouer avec un semblant de vie.

"J'ai vu à quoi ça ressemblait après l'incendie. Aujourd'hui, je constate des progrès immenses", lâche Kevin, montrant des photos des débris noircis qui jonchaient sa propriété.

Le père de famille a pu installer fin septembre sur son terrain, déblayé et décontaminé par l'Agence fédérale des situations d'urgence, la roulotte dans laquelle il a passé dix mois parmi des dizaines d'autres déplacés, sur un parking de la ville voisine de Chico.

Il vient à peine d'y emménager avec son fils Levi et sa parcelle, un rectangle de terre pelée grossièrement aplani, n'a encore, ce matin-là, ni eau ni électricité. Des milliers d'autres parsèment Paradise, lui donnant des allures de mosaïque post-apocalyptique.

Coup de chance, Kevin recevra dans la journée la visite d'ouvriers qui le raccorderont au réseau d'eau courante, rétablie seulement quelques semaines plus tôt. "Avoir l'eau, c'est quelque chose! Parce que maintenant, je peux faire du béton et couler des poteaux", s'enthousiasme-t-il.

Cela évitera aussi au jeune Levi d'être obligé d'aller prendre sa douche chez son grand-père, qui vit en dehors de la ville, dans une maison qu'il a réussi à sauver des flammes avec des tuyaux d'arrosage.

"Ce n'est pas une vie normale, il y a beaucoup de fantômes. Ca ne sera jamais plus pareil", assure Hollis Lundy, 67 ans.

- "Un autre monde" -

"Quand nous sommes revenus, nous étions très tristes, beaucoup de nos amis étaient partis", découragés ou sans ressources, faute d'avoir été assurés contre les incendies, explique Kevin, évoquant du bout des lèvres sa dépression et les cauchemars de "voitures brûlées" faits par son fils.

"J'étais dans le déni, je n'arrivais pas à croire que c'était vraiment arrivé... Et puis, un jour, on est revenus avec Levi pour dresser la clôture", sourit le géomètre aux yeux bleus.

Kayla Awalt, elle, n'a perdu que sa cabane à outils dans l'incendie. "On se sent très chanceux, mais on a perdu notre communauté. Nous sommes la seule maison encore debout" dans le quartier, confie-t-elle.

"Paradise est tout ce que j'ai connu. Les maisons où j'ai grandi sont parties, l'école où je suis allée aussi", poursuit la jeune femme de 34 ans, qui vit depuis des mois dans cette ambiance irréelle avec son mari et ses deux enfants, âgés de 7 et 9 ans.

"C'est très calme, très isolé. Nos voisins et nos amis nous manquent et il n'y a rien d'ouvert après 19H00. C'est comme vivre dans un autre monde", déplore la mère de famille.

Le couvre-feu décrété l'an dernier pour décourager les pillards est toujours en vigueur, de 23H00 à 05H00, mais il est difficile à faire appliquer: plusieurs membres de la police locale ont quitté la ville après avoir perdu leur maison, et Paradise peine à recruter faute de logements disponibles.

Carrie Keel, entrepreneuse en bâtiment, s'active pour remédier à la situation. Arborant un tatouage patriotique sur le bras, elle finit d'installer une maison préfabriquée pour remplacer un des logements qu'elle et son mari avaient en location et qui sont partis en fumée.

"Au lieu de louer nos nouvelles maisons, nous allons les vendre. On trouve que c'est vraiment important d'offrir des logements bon marché aux gens qui ont envie de revenir", lance Carrie en découpant des planches.

"On a vécu dans une grande roulotte pendant six mois, et c'est pas marrant. Ça n'a rien à voir avec du camping!", affirme la quinquagénaire.

Kevin Lundy est bien de cet avis. Il a dessiné les plans de sa maison et veut consacrer trois jours par semaine à la reconstruire, avec l'aide de son fils.

"Je pense que ça nous prendra au moins jusqu'à décembre prochain", estime Levi.

"Je suis assez d'accord, pas cette année mais décembre 2020, pour fêter Noël dans notre nouvelle maison!", répond fièrement son père.


 

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