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La "jungle" de Calais sera bien évacuée

La "jungle" de Calais sera bien évacuée
 
 

L'ordre d'évacuer une partie de la "Jungle" de Calais (nord de la France) prononcée par les autorités françaises, et contesté par des migrants et des associations, a été validé jeudi par la justice, sans être toutefois assorti d'un délai d'exécution.

Le gouvernement, qui veut démanteler la "jungle" de Calais, a remporté une importante victoire jeudi avec un feu vert de la justice administrative à une opération partielle, mais les autorités ont immédiatement assuré qu'elles n'entendaient pas recourir à la force.

Le tribunal administratif de Lille a donné raison à la préfecture sur son arrêté d'expulsion de la partie sud de la "jungle", pris le 19 février et fixant un ultimatum au 23 février, que contestaient en référé 10 associations et quelque 250 migrants. L'audience s'était tenue mardi, mais la juridiction s'était donné un délai pour statuer.

La zone Nord, qui abrite dans des tentes et cabanes 1.000 à 1.200 réfugiés, n'était pas concernée par le contentieux.

Dans son ordonnance, dont l'AFP a obtenu copie, la juge Valérie Quemener estime que l'insécurité, l'insalubrité, les violences, notamment entre migrants et forces de l'ordre et vis-à-vis de riverains, justifient la mesure d'expulsion sur ce secteur où vivent "de 800 à 1.000 migrants" selon la préfecture (3.450 selon les associations). Les "lieux de vie" situés sur cette zone, comme les écoles ou les lieux de culte, seront en revanche préservés. La préfecture s'y était engagée.

Dans son ordonnance, la vice-présidente du tribunal administratif de Lille observe que "l'Etat s'est engagé, en tout état de cause, à procéder à une évacuation progressive".

Concernant la sécurité, la magistrate, qui s'était rendue sur place mardi, s'inquiète de "l'absence d'aménagement de toute voirie, qui interdit notamment tout accès aux véhicules d'urgence et de secours" et de "l'intrusion de passeurs" qui "constitue également un danger potentiel pour les migrants".

De même, elle souligne que "des affrontements se répètent entre les forces de l'ordre et les migrants" sur la rocade longeant la "jungle".

Mme Quemener relève, dans la zone sud "la présence, pour l'essentiel, d'un habitat à la fois dense et diffus constitué d'abris précaires réalisés avec des matériaux divers et de tentes". "A l'exception de bennes à ordures et de quelques latrines", cette partie de la "jungle", où vivent entre 800 et 1.200 personnes selon la préfecture, 3.450 selon les associations, "ne comporte aucun aménagement".

En revanche, relève-t-elle, "la zone +nord+ comporte un centre d'accueil provisoire (CAP), espace clos et sécurisé dans lequel sont implantés 125 conteneurs (...), soit une capacité d'hébergement de nuit de 1 500 places, dont 300 sont actuellement disponibles". Elle note aussi l'existence du centre Jules Ferry, situé à proximité du CAP, comportant "un espace douche et toilettes" et "un centre dédié à l'accueil de nuit des femmes isolées" d'une capacité de 200 places. Il existe en outre une "permanence d'accès aux soins et de santé (PASS)".

La magistrate observe aussi que "405 places sont actuellement disponibles dans les divers centres d'accueil et d'orientation (CAO )" implantés un peu partout en France et qui constituent une solution de rechange, selon elle.

Mme Quemener s'appuie aussi sur un communiqué du Défenseur des droits constatant "les efforts effectués pour organiser un espace d'accueil de jour pour les enfants".

Selon la juge, "la circonstance invoquée" par les migrants "qu'ils sont présents depuis des mois ou des années, ne leur confère aucun droit acquis au maintien de cette situation irrégulière" consistant à occuper un espace public "sans droit ni titre".

Seule réserve, la magistrate se prononce pour le maintien en zone sud de "lieux soigneusement aménagés": "plusieurs lieux de culte, une école, une bibliothèque, un abri pour les femmes et enfants, des théâtres (...)". Mais elle note que la préfecture "a indiqué que ces installations ne seraient pas détruites".

Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a rapidement salué cette décision qui, a-t-il déclaré à l'AFP, "en tout point conforte la démarche de mise à l'abri des migrants de Calais et de résorption du campement de la lande engagé par l'Etat".

"Dans un but humanitaire, l'action de mise en protection des réfugiés se poursuivra par la mobilisation de toutes les solutions d'hébergement existantes", a ajouté le ministre. Expulser les migrants par la force n'est pas à l'ordre du jour, selon la préfète du Pas-de-Calais Fabienne Buccio.

L'Etat privilégie en effet une double solution, dont il tente de persuader la population du bidonville.

D'une part l'hébergement d'une partie de ces migrants dans le Centre d'accueil provisoire (CAP), des conteneurs chauffés jouxtant la "jungle" elle-même où 1.200 personnes se sont installées depuis son ouverture en janvier.

Mais aussi et surtout les départs dans l'un des 102 CAO (Centres d'accueil et d'orientation) disséminés partout en France, loin de Calais, où les migrants sont censés réfléchir à leur projet pour déposer des demandes d'asile, plutôt que de tenter la traversée clandestine vers l'Angleterre, parfois au péril de leur vie. Les associations actives à Calais se montrent cependant régulièrement sceptiques à l'égard de ces transferts vers les CAO, dont elles dénoncent "l'opacité".


Les associations mécontentes

Alors que l'arrêté d'expulsion du 19 février mentionnait explicitement le "concours de la force publique" si nécessaire, la préfecture a tenu d'emblée jeudi à apaiser les craintes sur le sujet.

"Nous avons à traiter d'un sujet humain délicat et nous devons privilégier le dialogue (...) Il faut arrêter de parler de victoire et d'ultimatum, on pourra parler de victoire quand tous les migrants seront mis à l'abri", a ainsi déclaré à Calais Mme Buccio devant la presse, depuis le centre d'accueil de jour Jules-Ferry. Et d'insister: "on n'a jamais parlé de bulldozers. Il faudra un mois, peut-être plus, pour appliquer notre arrêté".

Les associations, sur lesquelles compte pourtant s'appuyer la préfecture, ont accueilli cette décision entre fatalisme, anxiété et déception.

"On est déçu puisque cette décision précipite les choses et on va devoir en plein hiver déménager beaucoup de monde. Mais, si j'ai bien compris, l'arrêté d'expulsion va se faire sur plusieurs semaines et d'une manière progressive. C'est précipité, mais c'est mieux qu'une expulsion immédiate, c'est un moindre mal disons", a réagi Michel Jansens, chef de mission MSF, soulignant toutefois la préservation des "lieux de vie" (églises, école...) ordonnée par le tribunal.

Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique, parle pour sa part d'une "rupture de confiance entre migrants et gouvernement". Evoquant un recours devant le Conseil d'Etat, il met en garde contre tout usage de la force publique contre "des personnes qui ont subi des violences tout au long de leur parcours".

L'Auberge des migrants se déclare aussi "un peu fataliste, car on a déjà connu les expulsions, ainsi que les reconstitutions de camp. Le cycle continue".

Comme en écho à ces propos, la maire de Calais Natacha Bouchart, tout en saluant "une décision responsable", s'est dite disposée à prendre toutes les précautions nécessaires "empêchant l'installation de squats à l'issue de ce démantèlement".




 

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