"Nous sommes au bout du rouleau", explique à l'AFP Rosaria Sagliocco, une ouvrière de l'usine Whirlpool de Naples au bord de la fermeture et symbole du désespoir du Sud de l'Italie, frappé par un chômage endémique et un exode massif des jeunes.
"Nous avons des enfants, des prêts à rembourser. Nous devons aller de l'avant, mais comment?", s'interroge cette jeune femme de 35 ans, en retenant difficilement ses larmes lors d'un sit-in devant son usine d'une banlieue bétonnée de Naples.
Des milliers de personnes ont manifesté jeudi dans cette ville, dans le cadre d'un débrayage régional, par solidarité avec les salariés de l'usine de machines à laver haut de gamme de l'Américain Whirlpool.
Whirlpool veut fermer le site, qui emploie 400 personnes, assurant que les lave-linges de luxe n'ont pas trouvé leur marché et souffrent des tensions commerciales entre Etats-Unis, d'un côté, Chine et Europe de l'autre.
En comptant les emplois indirects de sous-traitants, environ 1.000 personnes sont dans l'incertitude.
Mercredi, la direction a annoncé un répit de dernière minute alors que le site devait fermer le 31 octobre et accepté de négocier un sauvetage sous la houlette du gouvernement.
Mais certains syndicalistes redoutent qu'il ne s'agisse que d'un report et rappellent qu'il n'y a pas pour le moment de repreneur crédible pour le site.
Outre Whirlpool qui menace de quitter la région de Campanie (autour de Naples), bien d'autres conflits sont en cours chez American Laundry (blanchisserie industrielle), Metalfer (sidérurgie), Fincantieri (chantiers navals), Auchan (distribution), Almaviva (informatique) ou encore Blutec (pièces détachées pour l'automobile).
"Nous sommes les victimes d'une déindustrialisation sans fin. Les entreprises ferment, les jeunes s'en vont", explique à l'AFP le syndicaliste Andrea Amendola, entouré jeudi de manifestants brandissant l'effigie d'un ouvrier Whirlpool cloué sur une croix.
Le groupe américain estime que le site n'est plus rentable, même s'il avait investi pour le moderniser dans le cadre d'un plan sur trois ans (2019/2021) prévoyant une injection de 250 millions d'euros dans ses usines italiennes.
- Partir -
Ce conflit est le dernier casse-tête du Mouvement 5 Etoiles (M5S, anti-establishment), qui partage depuis début septembre le pouvoir avec le Parti démocrate (PD, centre gauche), et a hérité du ministère du Développement économique.
En octobre, la Commission européenne a prévenu qu'elle pourrait tailler les fonds structurels régionaux destinés à l'Italie, si Rome ne maintient pas "un niveau adéquat" de financements pour le Mezzogiorno, le Sud appauvri.
"Nous n'avons pas été payés depuis cinq mois, cela a durement touché les familles", confie Giovanni Fusco, venu manifester avec 3.000 agents de nettoyage des écoles de la zone. "Certains sont expulsés (de leur logement), d'autres ont l'électricité coupée ou sont obligés de recourir à la banque alimentaire" pour se nourrir.
Plus de la moitié des 2,7 millions d'Italiens recevant une aide alimentaire vivent dans le Sud, notamment en Campanie, selon l'organisation syndicale agricole Coldiretti.
Le PIB du Sud ne pèse que pour la moitié de celui cumulé du Centre et du Nord, les zones les plus prospères du pays. Le chômage y avoisine les 20%, le double de la moyenne nationale, selon la Banque d'Italie.
Le Premier ministre Giuseppe Conte a promis un plan d'investissement extraordinaire pour le Mezzogiorno et le gouvernement précédent avait introduit en avril un revenu minimum pour les plus démunis mais son impact reste limité.
Le paysage est particulièrement sombre pour les jeunes, nombreux à se jeter dans les bras de la Camorra, la mafia napolitaine.
La moitié des moins de 25 ans vivant en Campanie, Calabre et Sicile, sont au chômage. Ce sont précisément les régions les plus gangrenées par les clans mafieux.
Les autorités anti-mafia ont constaté un accroissement du nombre de jeunes qui cherchent à prendre le contrôle de clans de la Camorra et la région détient le record du nombre de meurtres par habitant.
Ceux qui refusent un tel destin préfèrent partir: près de 130.000 Italiens ont quitté le pays en 2018, dont plus de la moitié originaires du Sud, selon l'organisation catholique Migrantes.
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