En ce moment
 
 

En Allemagne, le casse-tête des successions d'entreprise

 
 

"Toute personne avec des idées et aimant la bonne chère sera bienvenue" : dans son magasin d'épicerie fine à Brême, au nord de l'Allemagne, Jürgen Scharringhausen désespère de trouver un repreneur pour ce commerce plus que centenaire.

Le septuagénaire cherche depuis près de deux ans à céder l'enseigne familiale située à Vegesack, un des quartiers pittoresques longeant le port fluvial, mais il n'a reçu aucune offre sérieuse.

Une transmission d'entreprise qui tourne au casse-tête comme pour de nombreux établissements d'Allemagne, pays à la population vieillissante où l'important tissu de petites et moyennes entreprises pourrait connaître une saignée dans les prochaines années.

"Si rien ne vient, je devrai fermer", se désole M. Scharringhausen, aux côtés de son épouse Simone.

La boutique fondée par son trisaïeul il y a plus de 160 ans propose des produits fins du monde entier, deux stands pour la poissonnerie et la charcuterie, une cave à vin et un espace bistro de 25 places, en partie réservé ce vendredi matin de mars.

En ajoutant l'activité de traiteur et de vente en ligne, le tout génère un demi-million d'euros de chiffre d'affaires avec quatre employés et des renforts ponctuels.

- 250.000 fermetures -

Son cas n'est pas une exception: une entreprise allemande sur trois réalisant jusqu'à 15 millions de chiffre d'affaires déclare qu'elle devra mettre la clé sous la porte si aucun successeur n'est trouvé, selon une étude de la Commerzbank. Au point qu'"environ 250.000 fermetures pourraient survenir au cours des cinq prochaines années", déclare à l'AFP Christian Erbe, président de la chambre de commerce du Land de Bade-Wurtemberg (Sud).

L'Allemagne compte en moyenne un candidat pour trois établissements à reprendre, selon l'assemblée allemande des chambres de commerce (DIHK). Dans l'hôtellerie-restauration, le rapport est de 1 pour 7.

"Le problème de la succession d'entreprise s'est considérablement aggravé", relève Karsten Nowak, directeur à la chambre de commerce de Brême, où pullulent les petites entreprises de service.

Dans ce micro-État régional, 59 entreprises sur 1.000 seront confrontées à une succession entre 2022 et 2026, le ratio le plus élevé parmi les seize Länder d'Allemagne, selon l'institut de recherche sur les PME à Bonn (ouest).

Les difficultés dans les transmissions d'entreprises ont la même cause que la pénurie de travailleurs qualifiés qui touche l'Allemagne: la génération du baby-boom partant à la retraite, on ne "trouve pas assez de candidats entre 18 et 40 ans pour reprendre des entreprises établies", explique M. Nowak.

Problème supplémentaire: les actifs préfèrent des emplois salariés avec "des horaires flexibles et un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée", selon Christian Erbe.

- Goût du risque -

Jürgen Scharringhausen a repris le magasin familial en 1987, année de naissance de sa fille. Aujourd'hui acheteuse dans un grand groupe commercial, elle ne reprendra pas le flambeau.

La culture de l'entrepreneuriat reste "rarement enseignée dans les écoles, sinon sous un angle critique", regrette M. Nowak. Il a dans ses cartons un projet de pièce de théâtre pour aborder d'une autre manière le sujet de la transmission d'entreprise.

La volatilité de l'économie effraie plus d'un repreneur potentiel: "la prévisibilité devient problématique, surtout quand il faut s'endetter à long terme" pour une acquisition, reconnait-il.

Les entrepreneurs qui cherchent à transmettre leur entreprise citent, parmi les obstacles, "la sur-réglementation, l'avenir économique et les coûts de l'énergie", explique Detlef Schmidt-Schoele, chargé des successions à la chambre de commerce de Thuringe (est).

Les pouvoirs publics tentent de faciliter le processus avec une bourse en ligne de la reprise et de la transmission d'entreprise, supervisée par le ministère de l’Économie.

Sur ce site, des milliers d'annonces dans toute l'Allemagne attendent les aspirants entrepreneurs: équipementier automobile à céder dans le Bade-Wurtemberg (sud), entreprise de construction mécanique en Basse-Saxe (nord), négoce de bois "depuis 110 ans" en Thuringe (est)...

Beaucoup des affaires à reprendre se présentent comme des entreprises familiales. Selon une enquête publiée fin 2023, 43% des PME familiales allemandes prévoient une transmission d'entreprise dans les trois prochaines années et 42% n'ont pas encore trouvé de membre de la famille susceptible de prendre la suite, selon cette étude de l'institut Ifo et de la Fondation des entreprises familiales.


 

Vos commentaires