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Ces discrètes archives qui témoignent des guerres en Europe

Ces discrètes archives qui témoignent des guerres en Europe
Une employée des archives de l'OSCE, le 16 juin 2020 à Prague Michal Cizek
 
 

Elles prennent la poussière sur des étagères mais font trembler les criminels de guerre: pour prouver des exactions, la justice internationale a de plus en plus recours aux archives de l'OSCE, une organisation née de la Guerre froide et présente sur de nombreux terrains de conflit.

Aucun média n'avait auparavant pénétré dans l'élégante villa blanche abritant, sur les hauteurs de Prague, les rapports de terrain des observateurs de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), qui documentent les combats sur le Vieux continent.

C'est pourtant auprès de cette institution, créée dans les années 1970 pour améliorer le dialogue entre les Occidentaux et l'URSS, que la célèbre procureure Carla Del Ponte est venue chercher des éléments permettant d'inculper en 2002 l'ancien président yougoslave Slobodan Milosevic.

La documentaliste Alice Nemcova a régné durant près de trois décennies sur cet univers de boîtes en carton refermant des milliards de feuilles A4 jaunies. Elle a quitté son poste en juin après avoir vu le fonds d'archives s'épaissir au fil des ans.

"Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a créé un précédent en voulant accéder à nos dossiers", explique d'une voix rauque à l'AFP Mme Nemcova. La magistrate Carla del Ponte, alors procureure auprès du TPIY, "n'arrêtait pas d'en redemander. Elle a reçu quatre boîtes en aluminium remplis de témoignages, de photos de fosses communes", confie l'archiviste de 63 ans.

Slobodan Milosevic, accusé d'être impliqué dans plusieurs douzaines de crimes contre des milliers de civils, ne sera jamais condamné: il est mort en prison durant le procès, le 11 mars 2006. Toutefois, des coauteurs de ses exactions ont par la suite été reconnus coupables.

- "Sur le terrain tout le temps" -

Depuis la fin de la Guerre froide, l'OSCE, dont le siège se trouve à Vienne (Autriche), reste chargée d'opérations civiles pour prévenir ou aider au règlement de conflits.

Elle a été déployée dans l'ex-Yousgolavie durant les années 1990, ou en Ukraine aux prises depuis 2014 avec un conflit séparatiste dans l'est du pays.

Les milliers de compte-rendus de ces missions constituent des témoignages recherchés.

"La Cour pénale internationale (CPI) a effectué une demande concernant la Géorgie en 2012", dévoile Alice Nemcova. Quatre ans plus tard, la CPI, basée à La Haye, aux Pays-Bas, démarrait une enquête sur le conflit ayant opposé ce pays du Caucase à la Russie.

La Force pour le Kosovo (KFOR) a également déposé une demande d'accès à l'OSCE en 2017, tout comme la Croix-Rouge, qui recherchait des personnes disparues.

Selon le chercheur Nicolas Badalassi, l'OSCE "fait référence en matière judiciaire" car elle s'est "spécialisée dans les questions de démocratie, de liberté et de droits des minorités" et est "présente sur le terrain tout le temps", dans un secteur "bien plus large que celui de l'Union européenne ou de l'Otan".

Avec ses 57 états participants couvrant toute l'Europe, les anciennes républiques de l'espace soviétique, mais aussi les Etats-Unis et le Canada, l'organisation dispose d'un corpus d'archives "énorme", selon ce maître de conférences en histoire contemporaine à l'IEP d'Aix-en-Provence (France).

- "Source incontournable" -

Une mine pas toujours vue d'un bon œil : un ancien chef rebelle a un jour tenté de faire effacer son nom du moteur de recherche interne à l'institution. "Il ne devait pas avoir la conscience tranquille", estime Alice Nemcova.

L'OSCE est la seule organisation internationale à s'être rendue immédiatement sur les lieux du crash du vol MH17 dans l'est ukrainien contrôlé par les séparatistes prorusses, qui s'accusent mutuellement avec l'armée ukrainienne d'avoir abattu l'appareil. Un procès s'est ouvert en mars aux Pays-Bas, d'où la plupart des 298 victimes étaient originaires.

"A l'avenir, il est clair que ses rapports en Ukraine depuis le début de la guerre seront une source incontournable pour la justice", affirme Nicolas Badalassi. "En fait, je n'en vois pas d'autres décrivant la crise vue de l'intérieur. D'ailleurs des observateurs ont été kidnappés, on a voulu les entraver", rapelle-t-il.

Pour continuer à recueillir des informations au plus près du terrain, l'Organisation, qui dispose aussi de documents essentiels sur les régimes autoritaires en Tchétchénie ou en Biélorussie, évite la publicité. Elle ne doit rien faire qui puisse compromettre sa neutralité, sous peine de disparaître.


 

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