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Drogue chez les marins-pêcheurs: danger à tribord

Drogue chez les marins-pêcheurs: danger à tribord
Un navire de pêche arrive au port en Bretagne, en septembre 2016FRED TANNEAU
 
 

Un sujet "sensible", voire "tabou", mais une "réalité": l'usage de stupéfiants chez les marins-pêcheurs s'est développée depuis une dizaine d'années, une situation connue des pouvoirs publics et du milieu de la mer qui multiplient les actions de prévention en Bretagne.

"On sait très bien que les pêcheurs hauturiers qui partent plusieurs jours ou semaines n'hésitent pas à se charger pour tenir", explique le lieutenant-colonel Laurent Kerdoncuff, responsable de la prévention au groupement de gendarmerie des Côtes-d'Armor.

Au parquet de Lorient, si l'on tient à éviter de "stigmatiser une profession", on reconnait que certains marins "se mettent à consommer des produits stupéfiants, plutôt du style cocaïne: ça peut paraitre surprenant de prime abord, puisque c'est un métier dangereux où il faut être maître de soi", explique la procureure de la République Laureline Peyrefitte.

D'après le ministère de la Transition écologique, "les consommations de substances psychoactives chez les gens de mer français sont supérieures à celles observées chez les actifs d'autres secteurs d'activité". Selon les chiffres d'une étude de 2013 utilisés dans la campagne "pas d'ça à bord !", les marins de moins de 35 ans "étaient positifs à 46% pour le cannabis et 8% pour la cocaïne".

Une réunion sur le sujet est prévue fin novembre avec le comité des pêches de Côtes-d'Armor et la gendarmerie. "On y va sur des œufs car le sujet est important: il faut l'aborder sans créer de crispation, en proposant un échange", reprend le lieutenant-colonel Kerdoncuff.

En juin, les conclusions du Bureau enquête accident (BEA) mer sur le naufrage d'un chalutier en baie de Saint-Brieuc en 2018 (deux morts) ont fait l'effet d'une bombe dans le milieu: le manque de réaction du matelot lors de l'accident mortel était lié "à l'influence du cannabis".

- "Proies faciles" -

Le docteur Bernard Le Floch, qui officie au Guilvinec (Finistère), a mené une étude sur les "déterminants de la consommation d'opiacés chez les marins-pêcheurs", usage qui peut intervenir lors du retour à terre, avec un comportement qualifié de "no limit" par certains pêcheurs interrogés.

"Leur mode de vie entraîne une désociabilisation, ils n'ont pas le temps de s'intégrer à la société habituelle", aussi, "certains se disent +on a 48H pour se défoncer et rattraper le temps perdu en mer avant de repartir+", explique le médecin alors que les accidents mortels dans le secteur maritime sont quinze fois plus importants que la moyenne française, loin devant le BTP, selon le ministère.

Devant le port de pêche de Lorient, à l'Institut maritime de prévention (IMP), la directrice Françoise Douliazel estime que les marins-pêcheurs peuvent être "des proies faciles" pour les dealers. Et en raison du manque de main d’œuvre dans le secteur, certains armements "hésitent à en parler car ils n'ont pas intérêt à laisser des marins à terre pour régler leurs problèmes, car ça veut dire que le navire reste à quai. C'est un peu un engrenage...", regrette-elle.

Outre la fatigue et la dureté de la vie en mer, une autre raison revient pour expliquer cette consommation importante: le salaire des marins. "Comme la pêche se porte bien depuis les années 2015, le métier est redevenu attractif financièrement. Un matelot touche entre 2.500 et 3.000 euros net. Quand on a ces chiffres, ça crée des convoitises chez les revendeurs...", souligne Olivier Le Nézet, président du comité régional des pêches.

- "Portes qui claquent" -

Depuis juillet, un arrêté ministériel oblige les navires d'au moins deux marins à détenir des appareils... de contrôle d'alcoolémie. "Mais on n'a pas besoin de cela ! L'alcool n'est plus un sujet, c'est la consommation de stupéfiants qui en est un... ", lance M. Le Nézet.

Pour endiguer le phénomène, des campagnes de prévention ont été menées, comme "la mer est dangereuse, n'en rajoutez pas" et "Pas d'ça à bord". Cette année, une charte "de prévention des conduites addictives dans les armements à la pêche" doit être affichée dans les navires et peut être inscrite au règlement intérieur, comportant par exemple la procédure à suivre en cas de marin drogué à bord.

Un travail spécifique est aussi fait "dans les lycées maritimes", lieux sensibles, explique Bernard Martin, référent maritime à la Direccte. "L'objectif est aussi de travailler en amont", dit-il.

Surtout, depuis 2015, des tests urinaires de dépistage sont effectués lors des visites médicales d'aptitude. Avec comme constat une diminution "notoire" du nombre de marins testés positifs au cannabis et à la cocaïne, se félicite le ministère, qui souligne "une prise de conscience de la profession".

Dans la salle d'attente du Service de santé des gens de mer (SSGM) de Lorient, "on peut entendre le ton monter, les portes qui claquent...", signe d'une déclaration d'inaptitude à la navigation, "qui peut durer deux ou trois mois, le temps de se refaire une virginité... Les pêcheurs sont des chasseurs, plus ils pêchent et plus ils gagnent, parfois il faut booster le bonhomme", confie un marin, demandant à ne pas être cité.


 

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