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La loi prostitution de 2016 n'a pas encore produit d'effets, selon une étude

La loi prostitution de 2016 n'a pas encore produit d'effets, selon une étude
Une prostituée à Caen en novembre 2017CHARLY TRIBALLEAU
 
 

La mise en oeuvre de la loi prostitution, votée en 2016, est en "accélération" après un retard à l'allumage mais reste "diversement appliquée" sur le territoire et "ses effets concrets sur le phénomène prostitutionnel" n'ont pas encore été constatés, selon un rapport dévoilé mercredi.

L'étude, menée entre avril 2018 et juillet 2019 par les sociologues Jean-Philippe Guillemet et Hélène Pohu, a porté sur quatre villes-test: Paris, Bordeaux, Narbonne et Strasbourg.

Une évaluation nationale, coordonnée par les inspections générales des ministères de l'Intérieur, de la Justice et de la Santé, est attendue d'ici à la fin d'année.

Adoptée le 13 avril 2016, la loi a abrogé le délit de racolage, remplacé par la verbalisation des clients - avec une amende de 1.500 euros pouvant aller jusqu'à 3.750 euros en cas de récidive -, parfois complétée par un stage de sensibilisation.

Les personnes prostituées peuvent, à leur demande, s'engager dans un "parcours de sortie de la prostitution" pour bénéficier d'un logement locatif social ou une place en foyer, d'un accompagnement médical sur le plan physique ou psychologique ainsi que des actions d'insertion sociale et professionnelle.

"La loi est très diversement appliquée et nous avons constaté des situations locales très disparates", a résumé lors d'un point presse Jean-Philippe Guillemet.

Ainsi, à Paris, où se concentrent la majorité des 30 à 40.000 personnes prostituées en France selon les estimations officielles, 2.263 clients ont été interpellés, sur un total d'environ 4.000 sur tout le territoire.

En revanche, à Strasbourg, seuls trois amendes ont été dressées en 2017, aucune depuis. A Narbonne, ville-précurseur dans le domaine, "la mutation du procureur et du commandant de police, très actifs sur la pénalisation des clients, a stoppé les verbalisations", selon le rapport.

Si ses auteurs pointent le "degré de mobilisation variable" des acteurs locaux, "celui qui s'approprie le moins la loi, c'est la police", qui invoque "un manque de temps et de moyens", souligne Hélène Pohu.

- "Loi complexe" -

L'accompagnement des personnes prostituées a lui connu "une nette accélération sur les huit derniers mois", a affirmé Grégoire Théry, administrateur de la Fondation Scelles, organisation abolitionniste favorable à la loi, qui a cofinancé les travaux avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

Au total, 183 personnes - 172 femmes, 11 hommes - étaient engagées dans un "parcours de sortie de la prostitution", selon les données de la DGCS arrêtées au 15 mars. Un chiffre réévalué aujourd'hui à environ 250.

Les premières ambitions, freinées notamment par une publication tardive de décrets, étaient de 1.000 parcours en 2017, puis 600 en 2018.

Sur le terrain, "on ne constate pas encore de diminution de la prostitution dans la rue", reconnaît Grégoire Théry, qui observe que "la loi fonctionne quand elle est appliquée dans son ensemble".

"On ne peut pas dire que la loi a produit des effets mesurables. (...) C'est une loi complexe, il faut lui donner sa chance et du temps", abonde Jean-Philippe Guillemet.

Par ailleurs, la lutte contre le proxénétisme sur internet, en plein essor, "a du mal à trouver son application dans la loi", qui prévoit pourtant la responsabilité pénale des hébergeurs de sites, a indiqué Hélène Pohu.

La Fondation Scelles regrette que certaines politiques du gouvernement, notamment la lutte contre l'immigration, empêchent l'octroi des nouveaux droits prévus par la loi aux personnes prostituées.

Ainsi, dans plusieurs départements, les préfets sont réticents à délivrer des autorisations provisoires de séjour aux prostituées étrangères, indispensables pour leur accès à l'emploi. Dans plusieurs villes, des arrêtés municipaux antiracolage déguisés en arrêtés antistationnement, sont toujours en vigueur.

"Cette application hétérogène et inégale de la loi n'est pas acceptable", a commenté Grégoire Théry, appelant le gouvernement à "mettre en cohérence des politiques publiques parfois contradictoires".


 

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