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Pour survivre, le Ballet Philippines se bat contre la précarité, les typhons et même Disney

 

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Budgets restreints, typhons, départ de danseurs pour Disney... Depuis sa création, le Ballet Philippines, qui fête son 50e anniversaire, surmonte bien des obstacles pour survivre, déterminé à ce que le spectacle continue.

Dans un pays où des millions d'habitants vivent avec moins de deux dollars par jour, trouver les financements est pour cette compagnie de danse, dont les spectacles ont attiré plus de 30.000 personnes l'an dernier, un véritable défi. Et garder les danseurs qu'elle a formés en est un autre.

Certains ont déjà cédé aux sirènes de célèbres compagnies étrangères, comme Stella Abrera, devenue première danseuse de l'American Ballet Theatre à New York.

D'autres connaissent un destin moins prestigieux et travaillent sur des bateaux de croisière ou deviennent des personnages animant les parcs de Disney, pour des salaires 50 à 100 fois supérieurs à ceux de Ballet Philippines.

"La seule chose qui me déplaît, c'est quand Disney en fait des Mickey Mouse (...) C'est arrivé souvent et cela continue," se désole la présidente du Ballet, Kathleen Liechtenstein.

La première danseuse, Denise Parungao, 25 ans, a commencé comme apprentie à 40 dollars par mois, avec le soutien de sa famille. Elle comprend pourquoi certains partent : "La plupart des danseurs ne sont pas riches".

- "Colle" -

Une des clefs du succès du Ballet Philippines réside dans la détermination de ses artistes.

En 2014, un puissant typhon avait provoqué une panne de courant et des inondations qui avaient bloqué l'orchestre à des kilomètres. Deux heures avant le lever de rideau, le Ballet avait néanmoins décidé de danser "Giselle" pour ne pas décevoir les spectateurs venus de loin.

"Les lumières se sont rallumées au moment où les gens commençaient à entrer dans le hall du Centre culturel des Philippines", raconte Mme Liechtenstein. Et le courant revenu a permis de jouer des disques pour remplacer l'orchestre absent. "Cette danse fut délicieusement inoubliable", selon Mme Liechtenstein, toujours émue au souvenir de la standing ovation du public.

Les danseurs font preuve de tout autant d'opiniâtreté quand il s'agit de leurs pointes. Dans les compagnies renommées, un danseur peut en utiliser jusqu'à quatre paires par représentation. "Au Ballet Philippines, un danseur en porte une tout un mois", souligne Denise Parungao. "Ils y mettent de la colle, les vernissent, font tout pour les faire durer".

Chaque année, elle en achète cinq paires sur ses deniers personnels, pour s'assurer d'en avoir qui ne se désintégreront pas sur scène. "On se donne à fond", souligne la ballerine.

- Imelda Marcos -

A la différence des pays occidentaux et de la Russie, il n'existe aucun programme pour détecter les prodiges de la danse aux Philippines. Seuls les plus volontaires réussissent.

Carlo Pacis, ex-soliste du Ballet de Hong Kong retourné à Manille pour créer une chorégraphie pour le Ballet Philippines, affirme que la force des danseurs n'est pas seulement physique: "Nous ne faisons pas que danser: nous incarnons les rôles qui nous sont confiés. Nous aimons jouer, nous aimons divertir".

Le Ballet a refusé de révéler son budget, mais chacune de ses quatre à six productions annuelles coûte environ 100.000 dollars chacune.

S'il bénéficie à titre gracieux des installations du Centre culturel des Philippines, il ne reçoit qu'environ 40.000 dollars annuels de subventions. Pour le reste, il repose sur les dons, les ventes de billets et les sponsors: son conseil d'administration, composé du gotha des familles philippines les plus riches, finance 30% de son budget.

Pour son cinquantième anniversaire, en août, Evgeny Ivanchenko et Elena Evseeva, respectivement premier danseur et première soliste du prestigieux Ballet Mariinsky de Saint-Pétersbourg (Russie), ont dansé le "Lac des cygnes" aux côtés des danseurs philippins.

La représentation a rappelé le lustre qui accompagnait la première décennie du Ballet Philippines, lorsque des légendes comme Margot Fonteyn, Rudolf Noureev, Natalia Makarova et Patrick Bissell s'y produisaient.

Fondée en 1969 par la danseuse et chorégraphe d'avant garde Alice Reyes avec l'aide d'Imelda Marcos, l'épouse du dictateur philippin Ferdinand Marcos (1965-1986), cette compagnie est l'une des premières à avoir vu le jour en Asie.

Pour le directeur artistique du Centre culturel des Philippines, Chris Millado, "c'est l'un des meilleurs ballets en Asie".


 

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