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Jean Nouvel porte plainte contre la Philharmonie, qui lui réclame 170 millions d'euros

Jean Nouvel porte plainte contre la Philharmonie, qui lui réclame 170 millions d'euros
L'architecte Jean Nouvel devant le Musée national du Qatar, le 28 mars 2019Ammar Abd RABBO
 

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Une facture astronomique et un conflit judiciaire qui se durcit: sommé de payer 170 millions d'euros pour les surcoûts survenus lors du chantier, l'architecte Jean Nouvel porte plainte contre la Philharmonie de Paris, l'accusant de lui réclamer des sommes "indues".

Près de cinq ans après l'inauguration de la prestigieuse salle de concert parisienne, rien ne va plus entre l'architecte star, père du Quai Branly et du Louvre Abou Dhabi, et l'établissement public Philharmonie de Paris.

Au cœur du bras de fer: le dérapage financier survenu lors de la construction du bâtiment, dont le coût est passé de 173 millions d'euros au lancement du projet en 2006 à 386 millions d'euros lors de son inauguration en 2015.

Pour les Ateliers Jean Nouvel, ce dépassement s'explique par la gestion défaillante de la Philharmonie elle-même. Pour cette dernière, il est imputable à l'architecte, accusé d'avoir fortement sous-évalué les coûts et d'avoir effectué des "modifications permanentes".

En avril 2017, l'établissement public chargé de gérer la salle avait adressé une facture de 170,6 millions d'euros à l'architecte. Cette demande, confirmée par "titre exécutoire" en septembre 2017, comprend 110 millions d'euros de pénalités de retard.

"La somme demandée (...) est près de dix fois supérieure aux honoraires des Ateliers Jean Nouvel, elle équivaut à un arrêt de mort" du cabinet de l'architecte, s'indignent ses avocats, Me William Bourdon et Vincent Brengarth.

En parallèle de la bataille qui se poursuit depuis deux ans devant la justice administrative, les avocats ont donc décidé de contre-attaquer au pénal, en déposant une plainte le 14 octobre auprès du parquet national financier (PNF).

Lundi soir, la Philharmonie a réagi point par point à des "accusations dépourvues de tout fondement", soulignant notamment dans un communiqué "les prétentions contraires des Ateliers Jean Nouvel qui demandent plus de 105 millions d'euros de rémunérations complémentaires et indemnités".

"Il n'y a pas une victime et un agresseur mais deux parties face à face qui réclament chacune à l'autre des sommes importantes", commente l'établissement public. Il ajoute qu'il "s'est abstenu de toute procédure de recouvrement" des 170 millions d'euros, et que c'est au seul TGI, saisi du litige, "qu'il reviendra de faire les comptes entre les parties".

La plainte dénonce des "faits d'autant plus inhabituels que" la Philharmonie "a fait le choix de poursuivre uniquement le maître d’œuvre, à l'exclusion des entreprises. Ce traitement différencié ne trouve aucune explication légitime".

- "Sabotage" -

Pour les avocats, la demande de la Philharmonie relève ainsi de la "concussion" -- à savoir la perception par un agent ou un établissement public de sommes qu'ils savent indues.

Les avocats dénoncent également des faits de "favoritisme" pour des ordres de service passés avec l'entreprise Bouygues, sélectionnée sans mise en concurrence effective, sans l'accord de l'architecte.

L'entreprise avait à l'origine été mise en concurrence avec le groupe Vinci, mais les deux offres, supérieures à 300 millions d'euros, avaient été refusées. La Philharmonie a finalement négocié directement avec Bouygues, qui a présenté un budget de 218 millions d'euros.

Les plaignants accusent enfin la Philharmonie de "faux et usage de faux" pour avoir signé ces ordres avec l'en-tête du cabinet, et de "recel de détournement de fonds publics", pour avoir fait un usage selon eux illégal de l'argent public en dérogeant aux règles relatives aux marchés publics.

"Aucun faux n'a jamais été commis", se défend l'établissement public.

De l'avis des professionnels, le programme initial était sous-évalué de 30%. La hausse des coûts a par ailleurs été aggravée par les retards pris par le chantier, en raison d'une mésentente entre les différentes parties, et par des choix pris en faveur de la "durabilité du bâtiment".

Jean Nouvel et la Philharmonie sont engagés dans un bras de fer médiatique et judiciaire depuis l'inauguration de la salle de concert le 14 janvier 2015, à laquelle l'architecte avait refusé de participer.

Estimant son projet "dénaturé", Jean Nouvel a assigné la Philharmonie début 2015 pour l'obliger à des "travaux modificatifs". Le tribunal l'a cependant débouté, faute de fournir assez d'éléments sur l'absence de conformité avec le projet originel.


 

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