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Julie-Victoire Daubié, le féminisme par le bac

 
 

Victoire la bien nommée... Après des années de combat, Julie-Victoire Daubié, militante féministe et suffragette avant l'heure, a su forcer les portes et devenir en 1861 la première Française reçue au baccalauréat, à 37 ans.

Officiellement, elle était "bachelier", le mot n'étant pas encore décliné au féminin. Car personne n'avait envisagé un seul instant que ce diplôme national mis en place un demi-siècle plus tôt par Napoléon puisse un jour venir récompenser le parcours scolaire d'une femme.

Alors qu'on célèbre le bicentenaire de sa naissance, avec notamment l'émission d'un timbre à son effigie, Julie-Victoire reste une des grandes pionnières de la lutte pour l'émancipation féminine. Reconnue dans toute l'Europe et aux Etats-Unis, traduite en anglais, elle correspondra avec George Sand, Marie d'Agoult, Alexandre Dumas fils...

Un personnage haut en couleurs et aux multiples casquettes: préceptrice, sociologue, conférencière, journaliste économique, pacifiste...

Elle a compris très jeune qu'en tant que femme, rien ne lui serait jamais servi sur un plateau.

- Déterminée -

"La femme", écrit-elle dans l'un de ses essais, "deviendra dans la société tout ce qu'elle sera capable d'être".

Ca tombe bien, elle est déterminée, patiente et tenace... Et a remarqué que, dans les textes de loi, rien n'interdisait aux femmes de se présenter au baccalauréat. Sa face nord à elle, ce sera cet examen !

Benjamine de huit enfants d'une famille de la petite bourgeoisie, Julie-Victoire Daubié - on l'appellera toujours Victoire - naît le 26 mars 1824 à Bains-les-Bains (Vosges).

Son père, caissier à la Manufacture royale de ferblanterie, meurt alors qu'elle est nourrisson. Elle fréquente assidûment l'école, se perfectionne avec son frère aîné, prêtre, qui lui apprend le latin et le grec, et passe à 20 ans un "certificat de capacité", sésame pour enseigner.

Elle puisera dans ce qu'elle a vu enfant, au contact de la misère des ouvriers de campagne, pour écrire son essai "La Femme pauvre au XIXe siècle". Couronné en 1859 du premier prix du concours de l'Académie des belles-lettres de Lyon.

Encore plus motivée, elle se lance à l'assaut du bac. Elle parvient à s'inscrire aux épreuves à Lyon et, le 17 août 1861, est reçue à l'examen... passé dans un local séparé.

Victoire se voit délivrer le diplôme six mois plus tard avec, dit-on, un coup de pouce de l'impératrice Eugénie. Elle salue la "bienveillance impartiale" et les "sympathies généreuses" rencontrées dans sa quête du Graal.

Et remercie sa "patrie" et son "siècle". Car celle qui a tracé la voie pour les femmes - le chemin sera long - ne compte pas s'arrêter là. Les cours de la Sorbonne sont toujours réservés aux hommes. Mais pas les examens. La voilà donc aussi première femme licenciée ès lettres en 1871.

"Elle a ouvert les portes de l'université aux femmes", salue auprès de l'AFP sa biographe Véronique André-Durupt, qui descend de la famille Daubié.

"Elle a considéré que l'éducation permettrait à la femme d'obtenir les mêmes droits que l'homme", ajoute Frédéric Bouvier, actuel propriétaire de la Manufacture royale de Bains et animateur du site internet consacré à cette pionnière www.julievictoiredaubie.fr.

Elle se lance ensuite dans une thèse de doctorat sur la condition de la femme dans la société romaine. Restée inachevée car elle meurt à 50 ans le 26 août 1874, emportée par la tuberculose.

- Combat pour le droit de vote -

Son combat lui vaut d'avoir de son vivant des admirateurs et surtout des admiratrices. L'une d'elles l'incite à mener un nouveau combat: le droit de vote des femmes.

"Si vous pouviez", lui écrit la jeune fille, "nous faire ouvrir la porte des mairies comme vous nous avez ouvert celle de la salle des examens du baccalauréat, quelle victoire vous remporteriez encore! J'ai l'espoir d'ici cinq ans..."

Sitôt la proclamation de la République en 1870, Victoire lance l'Association pour l'émancipation progressive des femmes et écrit aux autorités pour demander leur inscription sur les listes électorales.

Las, elles devront encore attendre des décennies avant que ce droit ne leur soit enfin octroyé... en 1944 !


 

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